Pour Raymond Ruyer, la philosophie devait s’intéresser à tout, et au Tout. À l’écart des grands courants de son temps, il tenta de redorer le blason du vitalisme et du panpsychisme, jusqu’à affirmer l’existence de normes et de valeurs absolues.
Pour Raymond Ruyer, la philosophie devait s’intéresser à tout, et au Tout. À l’écart des grands courants de son temps, il tenta de redorer le blason du vitalisme et du panpsychisme, jusqu’à affirmer l’existence de normes et de valeurs absolues.
« Possède l’esprit philosophique celui qui s’intéresse à tout ; possède l’esprit philosophique sous sa forme propre, l’esprit métaphysique, celui qui s’intéresse au Tout ». C’est ainsi que Raymond Ruyer présente en 1941, dans une conférence donnée à ses camarades prisonniers de l’Oflag XVII-A, son caractère et sa méthode. [1] Cette curiosité universelle, le philosophe français l’exerce intensément dans ce camp où une université de fortune dispense des cours sur les sujets les plus variés – de Maurice Barrès au mimétisme des animaux marins, en passant par la vulcanisation du caoutchouc. Mais elle définit plus généralement la tâche ambitieuse et modeste du philosophe : s’intéresser à tous les savoirs pour en tirer une compréhension du monde comme Totalité, tout en sachant que cette synthèse est toujours à refaire, et que la métaphysique ne peut prétendre à être plus qu’un « mythe cohérent ».
La curiosité universelle du philosophe doit ainsi le conduire à se former aussi sérieusement que possible dans les sciences et les arts, et Ruyer regrette que l’université fasse si tôt de la philosophie une spécialité. Mais l’intérêt « pour tout » doit rester un intérêt « pour le Tout », intérêt proprement métaphysique qui fixe l’idéal régulateur de la philosophie : élaborer la compréhension unifiée de l’univers dont les différents domaines de la science et de la culture ne nous donnent que des fragments. Il y a dans cette philosophie une impatience revendiquée, le désir de voir achevée la cathédrale toujours inachevée du savoir : là où chaque savant taille sa pierre, les yeux rivés sur son ouvrage, le philosophe veut voir l’harmonie de l’ensemble.
La culture humaniste ne lui suffit donc pas, car elle ne compare l’homme qu’avec lui-même ; il faut encore replacer l’humanité dans le « monde mystérieux de l’animalité », et dans la nature tout entière, et pour cela faire appel aux ressources de tous les savoirs positifs – Ruyer parle parfois d’une « philosophie-science » – mais aussi des arts, des mythes et des expériences religieuses. Une telle volonté d’embrasser tous les savoirs ne condamne-t-elle pas le philosophe à l’amateurisme ? Si, sans doute, mais nous n’avons pas le choix :
Un philosophe tel que nous le souhaitons, il faut le reconnaître, est devenu aujourd’hui un être entièrement virtuel – de même peut-être, hélas, qu’un vrai chef politique. La cause en est profonde. L’homme est un être qui, littéralement, a éclaté, qui ne se possède plus. Il ne continue à vivre que dans le contradictoire, le paradoxe, et l’à peu près. Le chef politique fait comme si il était compétent en tout. Le philosophe fait comme si… Mais nous n’avons pas le choix, car il serait aussi désastreux de renoncer à l’unité de l’esprit humain qu’à l’unité politique. (Ibid., p. 57)
Cette philosophie comme impatience de la Totalité, Raymond Ruyer (1902-1987) l’a pratiquée au fil d’une œuvre considérable, développée de 1930 à sa mort dans une vingtaine d’ouvrages et une centaine d’articles. Né à Plainfaing dans les Vosges, Ruyer a fait ses classes au lycée Lakanal et à l’ENS, avant de passer l’essentiel de sa carrière à l’université de Nancy, d’où il développe son œuvre abondante et originale. Attaché à sa région natale, pratiquant une métaphysique réaliste devenant progressivement une théologie naturelle finaliste (sans appartenir pour autant à une religion constituée), politiquement conservateur et anti-marxiste, hostile à l’existentialisme, il reste à l’écart des courants philosophiques les plus influents de son époque. Il s’inscrit cependant dans la filiation de Bergson par la nature et l’ampleur de son projet philosophique, et prolonge la recherche d’une nouvelle cosmologie philosophique entreprise par Whitehead. Certains de ses contemporains ne s’y sont pas trompés, et des auteurs comme Georges Canguilhem, Maurice Merleau-Ponty, Jean Wahl ou encore Gilles Deleuze ont lu Ruyer avec beaucoup d’attention. Produite au fil de nombreux articles, cette pensée se rassemble dans d’importants ouvrages, notamment La conscience et le corps (1937), Néo-finalisme (1952), L’animal, l’homme et la fonction symbolique (1964), Dieu des religions, Dieu de la science (1970), ou sa grande synthèse posthume L’embryogenèse du monde et le Dieu silencieux. [2] Le style ruyérien est remarquable pour son sens de la formule, son goût du paradoxe et de l’ironie, et la très grande richesse des sources (philosophiques, scientifiques, littéraires…) auxquelles il puise.
Son intérêt constant pour les sciences de la nature, en particulier la biologie et l’éthologie, sa rupture avec le dualisme anthropocentrique et son panpsychisme anticipent nombre de discussions actuelles sur la conscience et sa place dans la nature. Comme Whitehead, Ruyer pense que la « philosophie unie à la science » hérite au début du XXe siècle d’un ensemble de découvertes nouvelles, en physique et en biologie, qui vont permettre de donner enfin un contenu rigoureux au courant le plus profond de la philosophie, celui qui affirme l’activité finalisée des êtres naturels, et d’en finir avec le naturalisme mécaniste en redorant le blason du panpsychisme et du finalisme. Il s’agit pour lui « de donner un sens parfaitement précis au vitalisme panpsychique, à la psycho-biologie, et de faire rentrer ces très vieilles thèses dans le courant central de la science aussi bien que dans le courant central de la philosophie. » [3] La méthode privilégiée par Ruyer sera celle des « isomorphismes », c’est-à-dire celle d’une recherche méthodique des similitudes qui révèlent une parenté ontologique plus profonde qu’une simple ressemblance : celle du développement embryonnaire et du comportement sensé, celle de l’atome et de l’organisme, ou encore celle du vivant le plus simple et du cerveau le plus complexe. [4]
Pour donner un aperçu de sa pensée, on peut en dégager trois grands gestes. Le premier est celui par lequel Ruyer « retourne » son matérialisme de jeunesse pour élaborer, en cherchant une solution au problème de la conscience et du corps, une ontologie panpsychiste faisant de la conscience la substance même de toute réalité. Une fois adoptée cette solution pour laquelle la conscience et le cerveau matériel sont une seule et même chose, considérée subjectivement ou objectivement, se pose le problème de l’évolution de cette conscience au sein du vivant. Le deuxième geste est donc celui de l’application du panpsychisme aux faits biologiques et à l’histoire du vivant : c’est le « néo-finalisme » de Ruyer, qui réintègre l’homme dans une philosophie de la vie culminant dans une théologie naturelle à tendance panthéiste. Enfin le troisième geste, qui traverse toute l’œuvre, est moral et politique aussi bien qu’ontologique : c’est l’affirmation de la réalité du « champ axiologique », autrement dit de l’existence de normes et de valeurs absolues qui structurent le monde, la vie biologique et l’action humaine.
L’enchevêtrement de ces trois gestes est nécessaire à la poursuite d’un projet, celui de réenchanter le monde en renouant avec l’idée de cosmos animé et porteur de sens. Mais il est aussi source de difficultés méthodologiques et conceptuelles, et corrélé à des prises de position morales et politiques parfois contestables. Mais ces difficultés elles-mêmes peuvent éclairer et nourrir la réflexion contemporaine sur l’écologie, l’histoire naturelle de la conscience et la question du panpsychisme.
La philosophie est confrontée au cours du XXe siècle à un événement « d’une portée incalculable », ainsi résumé par Roger Chambon : « les hommes en viennent, pour la première fois dans l’histoire, à la certitude scientifique de la naturalité de leur être ». [5] Ce diagnostic est déjà, en 1930, celui de Raymond Ruyer, qui dessine dans sa thèse, Esquisse d’une philosophie de la structure, les contours d’un mécanisme rénové capable de rendre compte sur un même plan de la matière, de la vie et de l’esprit. Il ne l’abandonne pas lorsque, s’éloignant rapidement de ce mécanisme initial, il commence à élaborer une cosmologie panpsychiste proprement « ruyérienne », dont il résume ainsi l’interrogation fondatrice : « Le « je » de l’homme que je suis, centre d’activités sensées, peut-il s’isoler, se poser dans le vide, enfant trouvé métaphysique ? » (NF, p. 19). La réponse est évidemment négative, et indique la ligne de crête sur laquelle progresse sa philosophie : celle d’une troisième voie entre un mécanisme incapable de rendre compte du sens et de la subjectivité, et un animisme naïf qui se contente de plaquer la conscience humaine sur les êtres naturels.
La philosophie propre de Ruyer se constitue à partir du problème de la nature de la subjectivité. Dans ses débuts mécanistes, il cherche à démontrer la possibilité de réduire l’esprit à un fonctionnement mécanique. Mais très vite, sans rejeter entièrement la conception mécaniste du monde, il entreprend de « retourner le matérialisme » : valable comme abstraction utile à la science, celui-ci n’est que l’apparence objective que prend la réalité lorsqu’elle est observée, analysée et mathématisée. Si tant de savants sont matérialistes, c’est qu’ils confondent l’attitude objectivante indispensable à leur travail avec une véritable métaphysique. Celle-ci est d’ailleurs en train d’éclater, aux yeux de Ruyer, face au défi de la physique quantique, qui doit mettre fin à la conception classique de la matière comme étendue inerte. Le matérialisme mécaniste échoue donc à rendre compte de la subjectivité vécue en première personne, mais on ne peut pas pour autant faire de la conscience humaine un miracle, un « enfant trouvé métaphysique » sous prétexte qu’elle est la seule subjectivité à laquelle nous ayons un accès direct. Ruyer s’emploie alors à batailler, à partir de l’année 1933, contre un trio de positions solidaires : le dualisme (âme - corps chez Descartes, Être - Néant chez Sartre) qui sépare l’esprit du reste de la nature ; l’idéalisme qui ignore la cohérence propre du monde, indépendante du regard constituant ; le matérialisme qui confond la structure objectivée du monde et sa réalité [6]. Publié en 1937, La conscience et le corps est le point d’orgue de ce deuxième moment de l’évolution de Ruyer : il y reste intégralement moniste et entend y résoudre le problème de l’âme et du corps comme un dualisme épistémique, dû à l’inévitable distance de l’être observé (le corps et le cerveau objectifs, la « structure ») à l’être réel (le corps et le cerveau vivants et conscients, la subjectivité – on dirait aujourd’hui les qualia). La conscience est à la fois cerveau, en tant qu’objet observé en troisième personne, et subjectivité, en tant qu’activité mentale vécue en première personne : « l’âme est la forme “en soi” de ce qui est observé comme corps ». [7]
Cette solution ne vaut pas seulement pour le problème de la conscience et du corps, qui n’est qu’un cas particulier. Le « retournement » du matérialisme ouvre en effet sur un panpsychisme dans lequel toute structure doit être pensée comme l’apparence objective d’un être subjectif. Ruyer s’avance ici dans ce qu’il considère comme « la grande voie naturelle de la philosophie », celle qui considère l’esprit humain comme un échantillon permettant de penser l’ensemble de la réalité. [8] En rupture avec le criticisme kantien, mais dans la filiation de Schopenhauer et de Bergson, Ruyer revendique la possibilité d’un accès au mode d’être des choses à partir de l’expérience privilégiée de la subjectivité. Mais il puise aussi dans la monadologie leibnizienne et dans sa relecture critique par Russell : son ontologie est alors proche du « monisme neutre » de ce dernier, qui affirmait que le mental et le physique « ne diffèrent par aucune propriété intrinsèque […] mais seulement par leur disposition et leur contexte » [9].
Le Ruyer « pansubjectiviste » des années 1930 doit toutefois rapidement dépasser les difficultés auxquelles conduisent sa conversion de toute structure matérielle en être subjectif (non seulement un éléphant ou un sycomore, mais encore un bâton ou une brique sont dotés d’une « subjectivité » difficile à définir). Il lui faut bien reconnaître qu’il y a dans le monde de pures structures mécaniques sans subjectivité : les simples agrégats, comme la montagne ou la brique, et les machines comme le radar ou la bicyclette, organisées par la subjectivité extérieure du constructeur. Il faut donc distinguer les êtres qui relèvent des lois de la physique classique, et les êtres subjectifs qui doivent être considérés comme autant de « centres d’activités sensées ». C’est ce qu’on peut appeler le problème de la coupure : pour Ruyer, « Descartes et les Cartésiens du XVIIe siècle ont mal fait la coupure entre ce qu’ils appelaient l’“âme” et le corps, ou entre ce qu’il vaut mieux appeler “le domaine du sens” et le domaine de la causalité mécanique. » (NF, p. 49‑50).
Si l’homme pensant émerge de la nature, il est clair que la coupure ne peut séparer l’âme humaine d’une part et l’ensemble du monde des corps de l’autre. La nature appartient déjà au « domaine du sens ». Où faut-il alors placer la coupure, sans retomber dans le dualisme ? Pour Ruyer la coupure passe entre les « êtres primaires » ou « formes vraies » et les agrégats ou « foules statistiques ». La physique quantique a mis en évidence le caractère de foule, d’agrégats statistiques des corps de la mécanique classique, par différence avec les particules qui les constituent. C’est cette distinction qu’il faut prolonger en distinguant tous les êtres primaires : particules et atomes, molécules, cellule, organisme vivant, voire colonie, et les foules qui ne sont que des agrégats de ces êtres primaires. Ces derniers doivent être conçus, à partir d’une analyse aussi peu anthropocentrique que possible de notre champ de conscience, comme des unités conscientes et actives, travaillant constamment à leur auto-formation et auto-régulation. Si le corps vivant a bien quelque chose d’une mécanique, c’est une mécanique qui s’est formée elle-même : ce n’est pas un corps qui a une conscience, mais une conscience qui s’est donné un corps.
Dès la fin des années 1930, Ruyer trouve dans la biologie des études de cas permettant de mettre en évidence l’activité formatrice de cette subjectivité qu’il appelle plus fréquemment « conscience primaire », « domaine absolu » ou « domaine de survol ».
Le premier de ces cas paradigmatiques est l’amibe, un type d’organismes unicellulaires dont plusieurs espèces ont été étudiées au tournant du XXe siècle : les partisans du réductionnisme physico-chimique (comme Jacques Loeb) espèrent y trouver un modèle de vivant entièrement réductible à ces mécanismes, tandis que les défenseurs d’une forme d’autonomie du vivant (comme H.S. Jennings) y cherchent les traces d’un comportement spontané. [10] Les études de Jennings sur le comportement spontané du protozoaire, capable de se mouvoir pour rechercher des proies, de former des pseudopodes adaptés à la capture visée, et de réagir à des désagréments par une palette de comportements différenciés [11], inspirent Ruyer, autant que sa lecture d’un auteur qui ne le quitte jamais, l’écrivain anglais Samuel Butler. Connu outre-Manche pour son roman satirique Erewhon (1872), celui-ci s’intéressa en essayiste à l’évolution darwinienne qu’il relie à une théorie de l’habitude, et défendait l’idée que l’auteur de l’Odyssée était une femme – deux thèses reprises à sa manière par Ruyer. Il emprunte encore à Butler l’idée du « paradoxe de l’amibe » : « De l’homme à l’amibe, les organes spécialisés diminuent, tout comme les sens spécialisés. Mais l’organisation diminue plus vite que l’esprit. L’amibe a plus d’esprit, en proportion de son corps, que l’homme en proportion du sien. » [12] La distinction entre agrégats et êtres primaires ouvre la voie à l’élaboration d’un panpsychisme plus rigoureux, qui affirme très clairement que la conscience préexiste au cerveau et même au système nerveux des organismes complexes. Cette conscience n’est autre que l’activité formatrice par laquelle l’être primaire, comme l’amibe, travaille à sa propre formation en résistant aux perturbations du milieu et en se différenciant sans perdre son unité. Le panpsychisme appelle une histoire naturelle de la conscience dans laquelle l’esprit humain, et même la conscience animale doivent être considérés comme des « consciences secondes », cas particuliers liés à la possession d’un cerveau d’une « conscience primaire » qui est déjà l’activité unitaire des vivants simples, et qui est fondamentalement l’étoffe de toute chose.
On comprend que l’embryologie expérimentale, notamment celle du biologiste Étienne Wolff, camarade de captivité de Ruyer, ait tout pour le captiver. Car si la physiologie des organismes complexes et même une partie de leur psychologie peuvent sans doute se ramener à des mécanismes physico-chimiques, il faut bien rendre compte de l’apparition des structures infiniment complexes qui rendent ces mécanismes possibles. C’est le problème de « l’homme-machine » cartésien : il ne fonctionne qu’une fois toutes les pièces en place, ce qui donnera naissance chez les cartésiens à la théorie de l’emboîtement des germes. Or, ce que met en évidence l’embryologie expérimentale, depuis les expériences de Driesch sur les oursins et de Spemann sur les tritons, et même dans la « science des monstres » de Wolff, c’est la formidable capacité d’auto-différenciation et d’auto-régulation de l’embryon en développement. Ruyer y voit là encore la manifestation de cette faculté de formation active et inventive de soi propre aux êtres primaires, et particulièrement aux vivants (si les atomes sont bien des formes-activités et non des corpuscules inertes, ils n’ont pas d’histoire individuelle et collective).
Ce que l’amibe et l’embryon, mais aussi le comportement animal étudié par les grands éthologues du milieu du siècle (Lorenz, Pavlov, Lashley) ou l’activité cérébrale donnent à voir pour Ruyer, c’est le versant biologique d’une « monadologie corrigée » dont la physique quantique a posé les premiers fondements. La matière ne peut plus être considérée comme une étendue soumise au principe d’inertie, ni les vivants comme des machines – fussent-elles des machines cybernétiques, une hypothèse que Ruyer étudie en profondeur pour mieux la contester. [13] Au contraire, la matière n’est que l’agrégation de domaines unitaires de conscience travaillant à maintenir et réaliser leur forme propre, et (ce point est crucial) ne se bornant pas à subir des interactions « par chocs et poussées » : la marque de la conscience est la capacité à agir d’une façon unifiée et selon sa forme propre. Ce que vise Ruyer, c’est la fin de ce que Bruno Latour a appelé le « récit causaliste » [14] dans lequel rien n’est dans l’effet qui ne provienne de la cause, à la manière des boules de billard s’entrechoquant. Au contraire, l’embryologie ou le comportement animal sont autant de cas qui manifestent une activité qui dépasse de beaucoup en complexité le stimulus qui l’a déclenchée. Qu’une substance chimique simple déclenche la différenciation des organes embryonnaires, ce n’est pas un succès réductionniste pour Ruyer : c’est au contraire son échec, puisqu’il y a bien plus dans le comportement déclenché que dans le signal déclencheur.
La nature, dans le panpsychisme ruyérien, est donc un monde d’individus doués d’invention et de comportements sensés, réagissant de manière adaptée à des « signaux » déclencheurs plus souvent qu’à la causalité d’un déterminisme mécanique. La conscience n’y est ni un miracle ni une invention tardive de l’évolution, mais le mode d’être primaire dont la « matière » n’est qu’un sous-produit par agrégation. Sa conception de la conscience comme activité d’auto-formation pose cependant le problème de la nature de cette forme visée, de ce potentiel que l’individu s’efforce de réaliser. C’est le problème du « néo-finalisme ».
Dès les Éléments de psycho-biologie (1946) [15], Ruyer affirme à la fois la nécessité pour expliquer les phénomènes biologiques de faire appel à un « système dynamique de coordination », et l’impossibilité de découvrir un tel système à l’intérieur de l’espace-temps (p. 12). Il faut donc postuler un « potentiel » situé hors de l’espace et du temps, qui inspire ou guide l’embryogenèse, ou le comportement instinctif. Il n’a cessé par la suite d’approfondir ce domaine des potentiels ou des essences jusqu’à élaborer une théologie naturelle d’inspiration platonicienne. C’est que l’ontologie et la philosophie de la nature rencontrent alors un autre intérêt de Ruyer : le problème de la valeur, auquel il consacre en 1948 Le monde des valeurs. C’est l’autre postulat originel de la pensée ruyérienne : les valeurs visées par l’action humaine existent, indépendamment du caprice des individus, comme des normes absolues que l’on peut choisir d’actualiser ou non (en cherchant à agir en vue du beau, du vrai, de l’utile, de l’humour…) mais qui ne sont le fruit ni de l’auto-détermination de la conscience singulière, ni du monde social. À la suite du phénoménologue Max Scheler dont il s’inspire, il affirme que l’être humain a un sens des valeurs comparable au sens des couleurs, les unes et les autres existant indépendamment de leur perception. Son principal adversaire est comme souvent l’existentialisme, qui commet la double faute d’occulter le caractère organique de l’humanité, et le caractère absolu des valeurs.
Les analyses auxquelles se livre Ruyer sur notre perception des valeurs, sur leurs rapports (de « remplissage réciproque », d’ « enveloppement »), sur les sociétés organisées autour de telle ou telle valeur laissent souvent dans le vague le mode d’existence de ces valeurs, tout en révélant le talent descriptif de Ruyer. Mais c’est bien sur cette thèse de l’existence indépendante des valeurs qu’il bâtit sa cosmologie néo-finaliste. Ce n’est pas seulement l’agent humain conscient qui travaille à actualiser des valeurs, mais tout individu vrai, c’est-à-dire tout organisme vivant et même tout individu physique ou chimique. En résumé, l’embryon humain est capable de différenciation et de régulation parce qu’il sait ce qu’il a à faire, et il le sait parce qu’il est en participation avec le « potentiel trans-spatial » de son espèce. Il ne s’agit toutefois ni d’un savoir réfléchi, ni d’une essence immuable : l’idée, chère à Ruyer, de potentiel ou de « thème » (notion reprise de Bergson) vise à rendre compte du caractère à la fois normé et plastique du vivant, et particulièrement de l’embryon, qui contient un potentiel en attente d’actualisation et se déploie comme une mélodie en variations sur un thème. Le « domaine naturel du trans-spatial » est dit n’exister que comme réservoir de potentiels en attente de réalisation, et en même temps existant indépendamment de toute actualisation concrète individuelle. C’est la contrepartie sans doute inévitable d’une conception close de la conscience, conçue comme une possession de soi par soi qui n’implique aucune ouverture sur le monde : l’information nécessaire à l’activité sensée doit alors, par construction, être située en-dehors du monde.
Cette « réalité du champ axiologique », conçu comme ensemble des possibles réalisables par les individus – l’être humain ayant seul accès à la fonction symbolique et à l’éventail des valeurs entre lesquelles il peut librement choisir – aboutit à une théologie « demi-panthéiste », inspirée de la figure du « Dieu connu et Dieu inconnu » de Butler. Dieu y est d’une part la totalité des étants travaillant à leur actualisation, et sous cette figure il s’agit bien d’un Dieu fragile, qui réussit sur certaines lignées et échoue ailleurs, qui rappelle à la fois la nature naturante de Spinoza, l’évolution créatrice de Bergson et le Dieu de Hans Jonas, qui se dépense dans sa création. Mais Dieu est aussi la Source de tous les possibles, de toutes les valeurs, il est le Sens des sens et la Fin des fins, qui nous échappe toujours et n’entend pas nos prières : c’est cette théologie à deux pôles qu’exprime le mystérieux titre du dernier ouvrage de Ruyer, L’embryogenèse du monde et le Dieu silencieux. Cette cosmogonie empruntant à Platon, Leibniz, Bergson et Whitehead met bien en lumière le rôle de « mythe cohérent » que Ruyer attribue à la métaphysique, et ne prétend pas à la certitude apodictique.
On peut y voir l’aboutissement logique de sa conception de la conscience : si Ruyer « corrige » la monadologie de Leibniz pour ménager une place à l’individualité biologique et à l’indétermination de l’histoire du monde, sa conscience primaire n’en est pas moins « sans porte ni fenêtre ». Il faut toutefois souligner que l’appel à une conscience actualisatrice de fins n’est pas un point de départ – quoique Ruyer s’y résolve étonnamment vite – mais l’aboutissement d’une critique minutieuse, informée et toujours féconde des tentatives réductionnistes physico-chimique mais aussi génétique, cybernétique ou appuyées sur la seule sélection naturelle. Si certaines de ces critiques manquent leur cible (c’est le cas sur la génétique, dont il minimise beaucoup l’importance), elles relèvent globalement d’une saine vigilance philosophique refusant toute réduction illégitime de la vie, de la conscience et du sens à des mécanismes simplistes. La certitude fondamentale de Ruyer ne porte pas tant sur son platonisme que sur l’impossibilité d’expliquer l’émergence du sens par des mécanismes aveugles, ce qui reviendrait à croire que l’on rend compte du sens d’une conversation entre deux amants par l’étude des signaux électriques transmis par leur téléphone. S’il a cru peut-être avec trop d’impatience à l’avènement d’une science finaliste, en considérant à tort des phénomènes inexpliqués comme définitivement inexplicables, cela l’a conduit à mener une critique pertinente de tous les réductionnismes simplificateurs en biologie et en psychologie, et, tout en commettant des erreurs de pronostic, à anticiper la critique du tout-génétique, ou l’intérêt porté à la plasticité du développement, du comportement et du cerveau plutôt qu’à leur détermination rigide.
On peut également l’interpréter comme la rencontre d’un panpsychisme dans lequel l’agentivité propre de l’individu est centrale et d’un réalisme des valeurs qui fait de l’agent un simple actualisateur parmi d’autres d’une valeur qui existe indépendamment de lui, ce qui ne va pas sans difficultés. Cela conduit toutefois Ruyer à une distinction féconde de l’actuel et du potentiel qui a entre autres nourri la pensée de Gilles Deleuze. [16] On peut enfin y trouver la volonté ruyérienne de « réenchanter le monde », non seulement en le révélant comme profusion d’êtres conscients et sensés, mais encore en l’arrachant au subjectivisme de la modernité pour rappeler qu’il est encadré par des normes indépendantes du vouloir humain.
L’attention qu’il porte à la richesse du monde des valeurs aussi bien qu’au caractère irréductiblement organique de la vie humaine l’amène à s’interroger au fil de son œuvre sur l’état présent et futur de l’humanité, et particulièrement des sociétés occidentales. [17] L’avenir de ces dernières lui paraît sombre, car elles ne respectent pas ces deux dimensions qui assurent l’adaptation dans la durée du vivant. Sur le plan des valeurs, tantôt elles en perdent de vue le caractère immuable en revendiquant le subjectivisme, tantôt elles n’en reconnaissent plus qu’une (l’efficacité économique, la politique, le plaisir…) et donnent ainsi naissance à un « homme unidimensionnel », selon l’expression de Marcuse, dont la vie morale et psychique est appauvrie. Sur le plan de la vie, elles sont trop vastes et complexes pour accéder à la « quasi-individualité » des peuples non industrialisés, et elles tombent par conséquent dans la catégorie des machines soumises aux lois des phénomènes de foules, aveugles et incapables de s’auto-réguler : la course aux armements produisant les guerres industrielles, l’emballement idéologique conduisant au chaos ou au totalitarisme, la croissance des besoins en énergie produisant la pénurie, les modes les plus diverses se développent comme les effets d’une mécanique aveugle agitant les foules humaines et les rouages des appareils de gouvernement et de production. Cette inquiétude conduit Ruyer à cette formulation frappante du défi de notre temps : « la conquête de la durée est beaucoup plus difficile que la conquête de l’espace. Et elle n’exige pas le même genre d’efforts. » [18]
L’incapacité des sociétés industrielles mécanisées à s’auto-réguler pour durer produit un remède qui aux yeux de Ruyer est pire que le mal : la profusion des idéologies prétendant les réformer de fond en comble pour construire une société idéale tout aussi artificielle. Ce danger de l’utopie repose là encore sur l’attention portée à un seul ordre de valeur censé englober ou remplacer tous les autres : la morale, l’économie, l’égalité, la religion, la santé biologique… Le danger de cette simplification hors-sol fait l’objet d’une riche étude, L’utopie et les utopies, parue en 1950. [19] Elle donne lieu dans les années 1970, alors que les idéaux issus de Mai 68 lui paraissent relever d’un même utopisme nourrissant des idéologies dangereuses, à ses principaux ouvrages de « critique sociale » comme Éloge de la société de consommation, Les Nuisances idéologiques, ou Le sceptique résolu. Le sain avertissement contre les simplifications idéologiques y prend toutefois la forme d’un conservatisme hostile à toute contestation de l’ordre social traditionnel, dont Ruyer érige parfois les valeurs économiques, morales et politiques en normes absolues et structurantes du monde.
Une autre série d’ouvrages témoigne au même moment du désir de Ruyer de tirer des enseignements éthiques et politiques de sa cosmologie, et de s’adresser plus largement à une société qu’il juge en perte de repères : déçu sans doute par la faible diffusion de ses thèses, Ruyer change de style et publie sa « trilogie gnostique ». [20] Il s’y fait le porte-parole d’une société secrète fictive de savants « néo-gnostiques » pour mieux présenter sa philosophie sous un vocabulaire emprunté à l’ésotérisme New Age et aux spiritualités orientales. Ce canular littéraire lui vaudra un succès d’édition avec La gnose de Princeton, mais aussi une incompréhension durable. Il pousse à son paroxysme une forme d’humour qui allie profondeur du questionnement et légèreté du style, aussi bien que sa volonté de révéler la vérité philosophique dissimulée sous les mythes, les vitalismes ésotériques et certaines formes d’expérience spirituelle.
La critique des limites des sociétés industrielles et le désir d’élaborer une cosmogonie pour la modernité mènent aussi Ruyer à écrire les pages les plus sombres de son œuvre. Si sa « psycho-biologie » le rend attentif à la dimension incarnée de l’existence, elle le conduit aussi à assimiler le moral, le psychologique et le biologique, jusqu’à défendre certaines formes d’eugénisme, un différentialisme raciste appuyé sur une « psycho-biologie » spécifique des peuples, ou encore une séparation naturelle des rôles de genre appuyée sur une « psycho-biologie » spécifiquement féminine. Les inquiétudes de Ruyer portent en effet davantage sur une supposée dégradation de la nature humaine que sur les dangers écologiques, et cette dégradation est indissolublement biologique, morale et culturelle. [21]
Ces considérations parfois indéfendables contaminent-elles l’ensemble de sa philosophie ? Probablement pas, mais cette difficulté à penser le social, le politique et l’écologie révèle sans doute une difficulté profonde de sa philosophie. Tout en centrant l’analyse sur l’individu auquel elle rend son agentivité propre, celle-ci tend à en faire une actualisation générique et dispensable d’une norme générale, plutôt qu’un être doté d’une valeur intrinsèque. En assimilant la vie, la conscience et la liberté au travail d’un individu visant une valeur, Ruyer peine à ménager une place à la relation entre ces individus, conçue soit comme perturbation de l’extérieur, soit comme assimilation et domination – l’organisme étant pensé sous la métaphore de la « colonisation » et de la « domination précaire ». La distinction binaire individu – foule montre ici ses limites.
Ces difficultés mettent cependant en lumière les liens profonds qui unissent toujours la conception du vivant et la pensée morale et politique, que Ruyer nous appelle à interroger. En attirant l’attention sur la conduite sensée de l’animal, la plasticité et l’autonomie du domaine de la vie, la diversité des agents qui forment le monde en se formant eux-mêmes et le caractère irréductiblement organique de la vie humaine, Ruyer met en évidence des traits essentiels d’une philosophie appropriée à la juste considération des vivants et à une compréhension renouvelée de la conscience et de la corporéité. Comme l’a bien vu Gilles Deleuze, son analyse du « potentiel » le conduit également à donner sa juste importance à la part de virtuel dans le réel. La principale leçon du néo-finalisme est peut-être cet appel à ne pas limiter le réel à l’actuel, au donné, pour faire droit non seulement à ce qui est donné à d’autres consciences humaines et non-humaines, mais aussi aux potentialités créatrices qui innervent le monde, et au caractère imprévisible de son développement. Si son impatience métaphysique le conduit parfois à ignorer les problèmes de méthode ou à trancher trop vite les problèmes, elle le dispose assurément à aborder de front les questions les plus profondes de la philosophie, en s’appuyant sur la science sans s’y limiter, pour interroger la nature de la vie et de la conscience, la cohérence de l’univers et le sens de l’existence humaine.
par , le 25 mai 2021
– Pour découvrir la pensée de Ruyer dans son ensemble :
• Fabrice et Jean-Pierre LOUIS, La philosophie de Raymond Ruyer, coll. « Repères », Paris, Vrin, 2014 : Un ouvrage introductif clair à la pensée du philosophe.
• Fabrice COLONNA, Ruyer, Paris, Les Belles Lettres, 2007 : Une monographie de référence qui restitue la pensée de Ruyer dans ses évolutions et sa cohérence.
– Parmi les nombreux ouvrages de Ruyer, on peut lire grâce aux rééditions récentes :
• La conscience et le corps (1937), introduction de F. Fruteau de Laclos et postface de F. et J.-P. Louis, Paris, Vrin, 2020 : l’œuvre dans laquelle Ruyer inaugure sa recherche d’une solution au problème de la conscience et du corps.
• Néo-finalisme (1952), réédité avec une importante préface de F. Colonna, coll. « MétaphysiqueS », Paris, Puf, 2012 : le maître-ouvrage de Ruyer, qui déploie l’essentiel de son système en partant du problème de la finalité, de la conscience et de la vie, et en donne la première grande synthèse.
• L’Embryogenèse du monde et le Dieu silencieux (rédigé 1981-1983, posth.), édité et présenté par F. Colonna, Paris, Klincksieck, 2013 : un ouvrage de synthèse rassemblant la plupart des grandes thèses métaphysiques de Ruyer pour élaborer la théologie naturelle à laquelle elles aboutissent.
• Ruyer par lui-même
– Plusieurs collectifs et numéros de revue ont été consacrés à Ruyer :
• Raymond Ruyer, coord. F. Colonna, Les Études philosophiques, n°80, 2007/1
• Raymond Ruyer : l’appel des sciences, coord. F. Colonna et G. Chapouthier, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°138, 2013/1.
• Raymond Ruyer : dialogues et confrontations, coord. F. Colonna et F. Louis, Philosophia Scientiae, n°21-2, 2017/2.
• Raymond Ruyer, coord. N. Zaslawski, Revue de métaphysique et de morale, n°107, 2020/3.
• Raymond Ruyer, coord. F. Colonna, Philosophie, n°149, Mars 2021.
– Deux thèses récentes lui ont été consacrées :
• Benjamin BERGER, Ruyer et la nature humaine, thèse de doctorat de l’Université Paris 1, dir. Renaud Barbaras, 2015.
• Bertrand VAILLANT, La philosophie de la vie de Raymond Ruyer, thèse de doctorat de l’Université Paris 1, dir. Renaud Barbaras, 2020.
Bertrand Vaillant, « Raymond Ruyer, l’impatience métaphysique », La Vie des idées , 25 mai 2021. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Raymond-Ruyer-l-impatience-metaphysique
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[1] Raymond RUYER, « L’esprit philosophique », in ¶Orientation. Recueil de conférences faites au centre universitaire de l’Oflag XVII A, Paris, Éditions de Champagne, 1946, p. 56.
[2] Des rééditions récentes ont rendu certains de ces ouvrages à la lecture du public : La conscience et le corps, introduction de F. Fruteau de Laclos et postface de F. et J.-P. Louis, Paris, Vrin, 2020 [1937] ; Néo-finalisme, préface de F. Colonna, Paris, Puf, 2012 [1952] ; L’Embryogenèse du monde et le Dieu silencieux, édité et présenté par F. Colonna, Paris, Klincksieck, 2013 [posth].
[3] RUYER, « La psychobiologie et la science », Dialectica, vol. 13, no 2, 1959, p. 104.
[4] Cet anthropomorphisme méthodique fait écho à celui que développe Hans Jonas dans sa « Note sur l’anthropomorphisme », appendice à l’Essai 1 de The Phenomenology of Life, trad. fr. D. Lories, Le phénomène de la vie, Bruxelles, De Boeck, 2001 [1966], p. 45‑49.
[5] Roger CHAMBON, Le monde comme perception et réalité, Vrin, 1974, p. 11.
[6] RUYER, « Ce qui est vivant et ce qui est mort dans le matérialisme », Revue Philosophique de la France Et de l’Étranger, vol. 116, 1933, p. 28‑49.
[7] RUYER, La conscience et le corps, Paris, Puf, 1950 [1937], p. 101 Ci-après noté CC.
[8] RUYER, « Le versant réel du fonctionnement », Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, vol. 119, no 5‑6, 1935, p. 356.
[9] Bertrand RUSSELL, Theory of knowledge. The 1913 Manuscript, [1913], tr. fr. J.-M. Roy, Théorie de la connaissance, Paris, Vrin, 2002, ch. II, p. 27.
[10] Cette controverse et son arrière-plan philosophique sont bien décrits par Georges Thinès, Psychologie des animaux, V, 5, Bruxelles, éd. Charles Dessart, 1966, p.168 sq.
[11] Ses observations sur le protozoaire Stentor roeselii, ont été répliquées en 2019 par des chercheurs de la Harvard Medical School : Joseph DEXTER et al., A Complex Hierarchy of Avoidance Behaviors…, 2019, Current Biology 29, 4323–4329.
[12] Butler cité dans RUYER, « Le paradoxe de l’amibe et la psychologie », Journal de psychologie normale et pathologique, 1938, p. 472. Nous traduisons.
[13] RUYER, La cybernétique et l’origine de l’information, Paris, Flammarion, 1967 [1954].
[14] Bruno LATOUR, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015, p. 95‑96.
[15] RUYER, Éléments de psycho-biologie, Paris, Puf, 1946
[16] Deleuze ne cite qu’occasionnellement Ruyer, mais sa lecture de Leibniz dans Le pli et plus encore sa conception du virtuel et de l’actuel développée notamment dans Différence et répétition sont profondément ruyériennes – mais d’un ruyérisme ramené à l’immanence. Des formules comme celle-ci paraissent directement inspirées de Ruyer : « Le virtuel ne s’oppose pas au réel, mais seulement à l’actuel. Le virtuel possède une pleine réalité, en tant que virtuel. (...) Le virtuel doit même être défini comme une stricte partie de l’objet réel – comme si l’objet avait une de ses parties dans le virtuel, et y plongeait comme dans une dimension objective. » Gilles DELEUZE, Différence et répétition, Paris, Puf, 1993 [1968], p. 269.
[17] Particulièrement développée dans les années 1970, cette interrogation traverse toute l’œuvre de Ruyer depuis sa deuxième thèse : L’Humanité de l’avenir d’après Cournot, thèse secondaire présentée à la Faculté des lettres de l’Université de Paris pour le doctorat ès lettres, Paris, F. Alcan, 1930.
[18] RUYER, Les cent prochains siècles, op. cit., p. 58.
[19] RUYER, L’Utopie et les utopies, Paris, Puf, 1950.
[20] RUYER, La Gnose de Princeton. Des savants à la recherche d’une religion, Paris, Fayard, 1974 ; Les cent prochains siècles, Paris, Fayard, 1977 ; L’art d’être toujours content. Introduction à la vie gnostique, Paris, Fayard, 1978.
[21] Ce qui le conduira (tardivement et de manière limitée) dans le voisinage intellectuel de la « Nouvelle droite » païenne d’un Alain de Benoist séduit par sa cosmogonie panthéiste, son affirmation des valeurs éternelles et sa défense des particularismes « psycho-biologiques ».