Recensé : Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonnevile, D’après Foucault. Gestes, luttes, programmes, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2007, 374 p., 22 euros.
Lire aussi :
– Foucault : la vérité en acte. par Dinah Ribard
A propos de Michel Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France, 1982-1983, éd. établie sous la dir. de François Ewald et Alessandro Fontana, par Frédéric Gros, Paris, Gallimard / Le Seuil, « Hautes Etudes », 2008, 382 p.
Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonneville nous offrent, avec D’après Foucault [1], un exercice littéraire et politique passionnant. La quatrième de couverture indique à propos des auteurs : historien pour le premier et philosophe pour le second. Mais la lecture de l’ouvrage dément ces partages faciles. On glisse d’un chapitre à l’autre sans rupture (sans trouver : un chapitre purement factuel auquel succéderait un chapitre purement conceptuel). On trouve ainsi une grande homogénéité de style, comme si leur lecture répétée avait imprimé une certaine courbure presque identifiable, et qui en serait la trace dans l’écriture (je veux parler d’un style classique, dépourvu de jargon et d’effets bavards, avec parfois des à-coup calculés, d’une certaine austérité aussi). Surtout, à chaque fois, il s’agit de problématiser une pratique de pensée : parler, enseigner, écrire, éditer, rire… Cette attention portée au « geste » est capitale. En 1984, dans sa dernière année de cours au Collège de France, Foucault distingue, à propos des cyniques, « traditionalité de doctrine » et « traditionalité d’existence ». La première exige de ses fidèles qu’on tente de restaurer, contre l’oubli qui menace, l’identité originaire et vibrante d’une vérité perdue. La seconde exige l’imitation, ou plutôt la reprise vivante d’une posture, d’un geste, d’attitudes. C’est ainsi que Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonneville ne cessent, à propos de Foucault, non pas de dévoiler ce qui serait la vérité vraie d’une œuvre dont le message essentiel risquerait de se perdre, mais de se demander ce que serait être se mesurer à un défi politique et intellectuel. Non pas donc : avons-nous bien compris ?, mais : sommes-nous à la hauteur ?
Il ne s’agit donc pas, avec D’après Foucault, comme on le comprend d’après le titre, d’un livre (un de plus) sur Foucault, mais d’après lui. Du reste, les chapitres dont est composé le livre sont au sens propre des interventions. Ce qui signifie qu’au départ ces textes ont été prononcés, se sont construits comme des adresses, à Paris ou ailleurs (Italie, Brésil, Chili…).
Et à chaque fois, sur un point précis de l’œuvre, il s’agit de faire valoir une puissance politique, de réveiller des possibilités de lutte, de désigner des enjeux de pouvoir. Même si ce livre semble se construire comme un recueil de communications, il ne s’y réduit pas. À cause d’abord de l’organisation symphonique du livre en trois mouvements : gestes ; luttes ; programmes.
Ce livre, me semble-t-il, illustre à merveille le contenu des leçons prononcées par Foucault au Collège de France en 1983. On comprend à quel point Foucault n’est pas un philosophe politique, mais un penseur politique. La différence est de taille, et on le comprend à chaque page de ce livre. La philosophie politique consiste dans le déploiement d’une rationalité : il s’agit de déplier à propos de l’Etat, des collectifs ou des actions, leur logique rationnelle, ou d’exposer leur essence immuable par-delà la diversité des incarnations historiques. Foucault pourtant expose en 1983 l’idée que la philosophie n’a pas à absorber la politique, pour en déduire une réalité qui serait conforme à son essence, mais à construire sa propre réalité dans un rapport constant à la politique. C’est ce rapport d’extériorité combative, de corrélation vibrante qui se retrouve dans le livre. A chaque fois (à propos du droit, du contrôle, de la révolution), il s’agit de se demander, non pas ce qu’ils sont, mais ce que la pensée peut leur opposer comme jeu de vérité. C’est ainsi que ce livre à propos de Foucault, à partir de lui peut revendiquer une fidélité non aveugle (il ne s’agit pas de répéter une leçon, mais de réactiver un geste). Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonneville seraient des héritiers actifs. Livre important donc, moins exactement au niveau du contenu de connaissances (même s’il témoigne de grandes qualités de compréhension de l’œuvre), qu’au niveau du style : témoignage d’expériences intellectuelles, tracé de possibilités de résistance… On retrouve partout cette compréhension par Foucault de la philosophie comme pratique : pratique de soi et construction de rapports qualifiés aux autres. Si la pensée est bien un exercice, Philippe Artières et Mathieu Potte-Bonneville proposent une série d’« essais », c’est-à-dire au fond des mises à l’épreuve de Foucault au tranchant de notre présent.
Pour citer cet article :
Frédéric Gros, « Les usages de Foucault »,
La Vie des idées
, 13 juin 2008.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://booksandideas.net/Les-usages-de-Foucault
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