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Dossier : Bioéthique : le don en débat

L’anonymat dans la procréation médicalement assistée
Entretien avec Jean-Marie Kunstmann


par Ariane Poulantzas , le 28 janvier 2011


A quelques jours du débat parlementaire sur la levée de l’anonymat dans la procréation médicalement assistée, Jean-Marie Kunstmann, responsable du CECOS de l’hôpital Cochin à Paris, expose son point de vue sur la question à partir de son expérience et de sa pratique.

La Vie des Idées ouvre un dossier sur le don en bio-éthique et commence par s’intéresser à la question de l’anonymat dans la procréation médicalement assistée, qui devrait être débattue le 8 février prochain à l’Assemblée. Ariane Poulantzas, qui a rendu compte du livre d’Irène Théry sur ce sujet, fait ici le point sur l’histoire et la législation actuelle, et s’entretient avec J.-M. Kuntsmann.

Brève histoire du don de gamètes

De tout temps, certaines femmes, pour pallier la stérilité de leur mari, ont bénéficié de dons de sperme provenant de donneurs à leurs yeux du moins pas du tout anonymes. Dès le XIXe siècle, certains se mirent à pratiquer l’insémination artificielle de manière très artisanale et surtout totalement illégale. En France, il faut attendre 1973 pour que le don de sperme, grâce au combat de Georges David, soit officiellement autorisé dans un cadre médical strict.

Georges David, hématologue, est spécialiste des incompatibilités foeto-maternelles quand quelques gynécologues ne comprenant pas la stérilité de certains couples lui demandent de chercher à mettre au jour une supposée incompatibilité entre les spermatozoïdes et les ovules (les médecins disent « ovocytes ») des couples concernés. À peine Georges David se penche-t-il sur le sperme de ces messieurs qu’il s’aperçoit qu’il n’est bien souvent pas fécond. Plus besoin, dès lors, d’invoquer une hypothétique incompatibilité entre certaines semences féminines et masculines pour expliquer la stérilité de ces couples.

Devant l’absence de recours thérapeutiques, Georges David entreprend de se battre pour la légalisation et la reconnaissance du don de sperme. Il s’agit de fournir des garanties sanitaires de cette pratique mais surtout, surtout des gages de moralité : comment faire accepter ce procédé que d’aucuns assimilent à l’adultère ? Georges David, hématologue, a connu le passage de la transfusion de bras à bras à la mise en place du système de don du sang anonyme et gratuit. C’est sur ce modèle qu’il construit le cadre du don de sperme au sein du premier CECOS (centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme).

À l’époque, les couples qui ont recours à ce mode de procréation le font dans le plus grand secret et n’envisagent pas de divulguer à l’enfant comment il a été conçu. C’est dans ce contexte et cette optique que Georges David et ses collègues accordent une grande attention aux caractères phénotypiques de chacun des donneurs : à chaque couple, le donneur anonymement attribué sera choisi pour sa ressemblance physique au futur père. La procréation naturelle entre les deux membres du couple parental doit sembler plausible aux yeux des plus avertis. L’attention se porte jusqu’au groupe sanguin, afin que l’enfant éclairé de quelques notions de génétique simple ne puisse s’apercevoir de la supercherie. Il va sans dire que, dans ce contexte, le don de sperme accordé aux couples homosexuels ou aux célibataires n’est pas envisagé. Les solutions proposées par Georges David ne s’adressent qu’aux couples souffrant de stérilités dites « médicales ». Dès lors, le don de sperme ne s’adresse qu’aux couples hétérosexuels mariés ou vivant ensemble depuis plus de deux ans, dans lesquels les deux membres sont en âge de procréer. D’autres CECOS s’ouvrent en France et tous appliquent les mêmes règles.

Au début des années 1980, la technique de la fécondation in vitro étant maitrisée, il devient possible de procéder à des dons d’ovocytes pour les couples souffrant de certaines stérilités féminines. Mais, parce que le don d’ovocyte implique une prise en charge médicale des donneuses autrement plus lourde que celle des donneurs de sperme, la règle de l’anonymat n’est pas imposée : une femme peut donner à sa sœur, sa mère, une amie.

En 1994 sont votées les premières lois de bioéthique qui régissent, entre autre, l’assistance médicale à la procréation. Ces dernières, en ce qui concerne le don de gamètes, s’alignent sur les règles établies par George David et déjà appliquées dans tous les CECOS de France. Seule modification : le don d’ovocyte doit nécessairement, à l’instar du don de sperme, être anonyme.

En 2004, les lois de bioéthiques sont révisées mais ne connaissant, sur le don de gamètes, aucune modification. En revanche, la révision prévue pour 2011 pourrait modifier la question de l’anonymat : à sa majorité, l’individu issu d’un don de gamète pourrait, s’il le désire, obtenir sur son donneur (ou sa donneuse) des « données non identifiantes » telles que ses caractéristiques physiques, sa profession, sa région. Il pourrait même, si le donneur l’accepte, obtenir son identité. C’est, en tout cas, dans ce sens que va le projet de loi présenté en novembre par Roselyne Bachelot.

Le cadre législatif du don de gamètes en France

Le don de gamète est anonyme

En France, le don de gamètes est anonyme, à l’instar du don du sang : c’est d’ailleurs sur le modèle du don de sang qu’a été mis en place le don de sperme. Le don de sperme est anonyme depuis sa légalisation en 1973. En revanche le don d’ovocytes, rendu possible au début des années 1980 grâce à la technique de la FIV (fécondation in vitro) n’est obligatoirement anonyme que depuis les premières lois de bioéthiques (1994). Pendant près de quinze ans donc, une femme a pu donner ses ovocytes à sa sœur, sa mère ou sa meilleure amie. On appelait ça le don « direct » et l’équipe de Tenon le pratiquait alors.

En 1994, le législateur, dans un souci d’harmonisation a calqué les règles qui régissent le don d’ovocytes sur celles du don de sperme. Toutefois (voir plus loin) le don d’ovocytes n’étant pas aussi facile que le don de sperme, imposer son anonymat et sa gratuité, engendre une grande pénurie d’ovocytes disponibles.

Le don étant anonyme, jamais les parents ne connaîtront l’identité de l’individu grâce auquel ils sont parents. Inversement, le donneur (ou la donneuse) ne connaîtra jamais le couple à qui ses gamètes ont été attribués. Il ne saura même pas si ses gamètes ont abouti à la naissance d’enfants. Pour limiter les risques de consanguinité (qu’à l’âge adulte des enfants issus d’un même géniteur se rencontrent et procréent entre eux) les médecins limitent à dix enfants le nombre de descendants issus d’un même donneur.

Conséquences de l’anonymat et révision prochaine des lois de bioéthique

Le principe de l’anonymat convient particulièrement bien aux futurs parents. En effet, le fait que le donneur ne puisse pas être identifié par leurs enfants (même si le secret sur leur conception est levé, même s’ils savent qu’ils sont issus d’un apport de gamètes extérieur au couple parental) rassure les parents : jamais une tierce personne ne risquera de faire de l’ombre à leur statut de parent. Il convient également aux donneurs qui, en général, s’accommodent très bien de ne pas risquer de voir débarquer vingt ans après de jeunes adultes se présentant comme leurs enfants.

En revanche, et c’est là que le bât blesse, il arrive que les enfants qui se savent issus de don, réclament « le droit à la connaissance de leurs origines ». C’est pour eux particulièrement douloureux d’avoir à se construire avec cette part de mystère, d’autant moins admissible que les médecins, eux, savent (l’identité du donneur de chaque couple est préservée dans un coffre du CECOS au cas où un problème médical nécessiterait des informations supplémentaires sur le géniteur). La voix des enfants issus de don, pour beaucoup devenus aujourd’hui adultes, se fait de plus en plus entendre (http://www.pmanonyme.asso.fr/). À tel point qu’il est question que l’anonymat soit modifié lors de la révision des lois de bioéthiques. Ce point est largement débattu. En tous les cas, une nouvelle loi ne serait pas rétroactive : les dons faits avant la révision de la loi resteront anonymes. En d’autres termes, ceux qui réclament le droit à la connaissance de leurs origines resteront dans le mystère. Si on lève l’anonymat, ce sera sur le modèle suédois (possibilité pour l’enfant à 18 ans de rencontrer son donneur si ce dernier est toujours d’accord). Il n’y aura pas de choix du donneur comme c’est possible contre rémunération aux USA ou comme c’était possible en France pour le don d’ovocyte avant 1994.

Le don de gamètes est gratuit

Il est remboursé par la sécurité sociale mais dans un cadre strict (couples hétérosexuels mariés ou concubins depuis au moins deux ans, en âge de procréer). Sont donc exclus d’emblée, les couples homosexuels ou les célibataires. Pour ces derniers, non seulement le don n’est pas remboursé mais en plus il n’est pas autorisé (contrairement à l’Espagne et la Belgique pour n’évoquer que les pays limitrophes).

Les donneurs ne sont pas rémunérés, ni même rétribués. La question d’un « défraiement » pour les donneuses d’ovocytes (le don d’ovocytes est, en terme médical, beaucoup plus lourd que le don de sperme) sera également abordée lors de la révision des lois de bioéthique.

Conséquences et limites de la gratuité

Si le principe de la gratuité est certes tout à fait louable, il est, en ce qui concerne le don d’ovules, difficilement tenable. En effet, donner ses ovules n’est pas une partie de plaisir. Cela suppose un lourd traitement de stimulation hormonale, non dénué d’effets secondaires et de risques, puis une intervention afin de prélever les ovocytes. Dès lors, les CECOS manquent cruellement d’ovules (d’autant que si un éjaculat contient des millions de spermatozoïdes, un prélèvement d’ovules en rapporte rarement plus d’une dizaine). Pour pallier cette déficience, les médecins sollicitent les couples demandeurs d’ovules pour « recruter » une donneuse qui, bien sûr, ne sera pas la leur (puisque le don est anonyme) mais approvisionnera le stock. Principe du donnant-donnant, en quelque sorte (qui fonctionne aussi pour le don de sperme). Or, à assister aux staffs de médecins où sont étudiés les dossiers des couples, ainsi que ceux des donneuses par eux amenés, on peut, dans certains cas, se demander si l’altruisme et la générosité ont suffi à convaincre la donneuse. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que le principe de gratuité n’est parfois qu’un leurre ; personne n’est dupe.

Les critères d’appariement

La ressemblance phénotypique.

Le don de sperme ou d’ovocytes étant anonyme, jamais les parents ne peuvent choisir le géniteur ou la génitrice de leurs futurs enfants (contrairement aux USA, par exemple, où les gamètes ne sont ni anonymes ni gratuits : on choisit sur catalogue et on paye plus ou moins cher selon les caractéristiques des donneurs. C’est à la carte mais d’autant plus onéreux que le produit est sensé être de luxe). Ce sont les médecins, et uniquement eux, qui choisissent.

Dans un premier temps, il s’agit pour les médecins de choisir un donneur ou une donneuse qui ressemble le plus possible au parent dont il est censé pallier la stérilité. Les médecins prennent alors en considération la couleur de la peau, celle des yeux, celle de cheveux, la taille, le poids, et le groupe sanguin.

Présupposés et conséquences de la ressemblance.

Tout est fait pour que l’enfant puisse véritablement sembler être biologiquement issu de ses parents. Cet appariement des caractères phénotypiques a pour fonction de rendre possible le maintien du secret sur le mode de conception. Puisque l’enfant ressemblera à ses parents. En même temps, les parents sont incités, notamment par les psys du CECOS, à révéler à leur enfant le secret de sa conception.

Tout est fait pour « singer » la parenté biologique alors que les psys des CECOS prônent la levée du secret. Les parents sont donc confrontés à une logique pour le moins paradoxale. Paradoxe que les CECOS tentent de lever par la distinction secret /anonymat : ils incitent à lever le secret tout en conservant l’anonymat. Ce qui implique la mise en place d’une pédagogie, réduisant au maximum le rôle et la part du donneur, qui ne doit en aucun cas être tenu pour « père ».

Par le biais de l’appariement du groupe sanguin, la question du secret est directement abordée en consultation avec les futurs parents. En effet, se livrer à un appariement des groupes sanguins ne présente aucun intérêt médical. Sa seule fonction est d’éviter que l’enfant découvre, en comparant son groupe sanguin à celui de ses parents, qu’il n’en est pas issu biologiquement. Si les parents révèlent à l’enfant son mode de conception, cette concordance n’a plus le moindre intérêt. Or, l’appariement sanguin présente une contrainte supplémentaire dans un contexte de pénurie de gamètes disponibles. Les futurs parents sont donc invités à indiquer aux médecins ce qu’ils désirent dire à l’enfant afin que cette attention au groupe sanguin puisse être ignorée dans le cas d’une future levée du secret. Ce moment de la consultation est particulièrement intense puisqu’il permet aux couples de s’exprimer sur leur approche du don. Se sentent-ils à l’aise avec ce procédé ? En ont-ils parlé à leurs familles, à leurs amis ? Assument-ils leur stérilité ? La problématique est d’autant plus complexe qu’elle renvoie également à des éléments culturels ou religieux (pour certaines communautés, pour certaines religions, notamment pour les musulmans le don de sperme ou d’ovocytes est interdit, ou, en tout cas, extrêmement mal perçu). Si les futurs parents ont suffisamment cheminé psychiquement pour être à l’aise avec l’idée du don, il n’en est pas forcément de même pour leurs proches. Comment dès lors révéler à l’enfant ce qui devrait rester caché à l’extérieur du noyau familial ? Toutes ces questions sont abordées lors des entretiens avec les psychologues, entretiens obligatoires dans le parcours suivis par les futurs parents.

La sélection génétique.

Par ailleurs, les médecins « apparient » les gamètes selon une autre logique : éviter que le parent fécond et le donneur présentent des prédispositions aux mêmes pathologies (la conjonction des prédispositions de la part des deux parents biologiques augmente considérablement le risque, pour l’enfant, de développer plus tard la pathologie en question). Il va sans dire que bon nombre d’entre eux sont d’emblée exclus (pas assez génétiquement corrects). Les consultations avec les généticiens (obligatoires pour tous les donneurs et donneuses) donnent une idée de l’étendue des pathologies recherchées.

Conséquences éthiques de la sélection génétique : eugénisme ?

Dès lors, quelle que soit l’efficacité réelle de ce type de mesures sur la santé des futurs enfants (on peut en tout cas parier que, le savoir génétique avançant rapidement, ces mesures seront un beau jour terriblement efficaces), l’objectif est clair : donner naissance à des enfants présentant a priori moins de risques de pathologies que ceux conçus de manière aléatoire (du point de vue des prédispositions génétiques). Les enfants conçus au CECOS sont donc a priori génétiquement plus corrects que ceux faits « sous la couette ». Dans la mesure où ces enfants sont issus d’un acte médical, il est de la responsabilité des médecins de veiller à écarter autant que possible le risque de maladie génétique. Mais jusqu’où est-il légitime de pousser cette attention ?Régulièrement les médecins des CECOS s’interrogent sur la sévérité (ou le laxisme) de leurs critères d’exclusion. La question de savoir jusqu’où pousser la sélection les occupe énormément.

Jean-Marie Kunstmann, responsable du CECOS de Cochin, expose ici son point de vue sur la révision de la loi.

Note technique :

 Vidéo : Emilie Frenkiel. Audio : Ariel Suhamy.

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 En cas de problème technique, vous pouvez nous contacter.

par Ariane Poulantzas, le 28 janvier 2011

Aller plus loin

Voir aussi :

 L’anonymat du don de gamètes en question

Entretien avec E. Weil & J. Mandelbaum, par Ariane Poulantzas, La Vie des idées, 28 janvier 2011.

 L’origine interdite. Contre l’anonymat des dons d’engendrement. Entretien avec Irène Thèry, par Nicolas Duvoux, La Vie des idées, 8 mai 2009.

A lire aussi :

 Pierre Jouannet, Donner et après... La procréation par don de spermatozoïdes avec ou sans anonymat ?, Springer 2010, 302 p. Collection L’homme dans tous ses états.

Pour citer cet article :

Ariane Poulantzas, « L’anonymat dans la procréation médicalement assistée. Entretien avec Jean-Marie Kunstmann », La Vie des idées , 28 janvier 2011. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/L-anonymat-dans-la-procreation-medicalement-assistee

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