Le nouveau visage que cherche à se donner l’extrême droite en France est trompeur : partout lorsqu’elle est au pouvoir, comme elle l’est ou l’a été dans certains États du monde, elle discrimine, meurtrit et appauvrit.
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Le nouveau visage que cherche à se donner l’extrême droite en France est trompeur : partout lorsqu’elle est au pouvoir, comme elle l’est ou l’a été dans certains États du monde, elle discrimine, meurtrit et appauvrit.
L’extrême droite progresse en France depuis 2002 et le front républicain qui l’empêchait d’accéder au pouvoir s’est lentement effrité. Les digues morales ont sauté, alors même que de nombreux cadres du FN devenu RN ont fait l’objet de condamnations pour racisme ou antisémitisme et qu’un grand nombre de sympathisants adoptent les stéréotypes les plus xénophobes.
La campagne de dédiabolisation orchestrée par le parti et amplement relayée par certains médias affidés ont trompé une partie de l’électorat, séduit par cette apparence de respectabilité. Mais l’extrême droite française n’a pas rompu avec une histoire sombre dont elle continue, ouvertement ou à demi-mots, à se réclamer, comme en témoignent entre autres les plaisanteries de mauvais goût sur la figure de Jean Moulin, tournée en dérision par le chef du parti. L’image policée que ses leaders se plaisent à présenter ne doit pas dissimuler des invariants idéologiques autour desquels ce courant se structure : le culte de la nation conçue comme une ethnie, le rejet de l’altérité et de l’universalisme, la rhétorique révolutionnaire mise au service d’une lutte contre l’humanisme, la détestation des intellectuels souvent assimilés à des ennemis de l’intérieur, le mépris de la science et de l’information libre. Les politiques de préférence nationale que l’extrême droite entend mener forment le cœur d’un programme qui, sur bien d’autres points, pratique la duplicité et l’ambiguïté. En témoigne son discours sur les questions écologiques, qui, sous couvert d’une défense du localisme, ne fait que reconduire le système productiviste et les énergies fossiles. En témoigne également le flou qu’elle entretient sur sa politique internationale (vis-à-vis du soutien à l’Ukraine, de l’intégration européenne, ou encore sur la participation aux organisations multipartistes), qui est fortement teintée d’illibéralisme autoritaire. En témoigne encore le programme économique, dont la dimension sociale (soutien au pouvoir d’achat, abrogation de la réforme des retraites, etc.) est peu à peu éclipsée par des mesures typiques d’une politique de l’offre, favorables aux entreprises et aux classes les plus aisées (baisses des cotisations des entreprises, et des impôts sur les héritages et donations par exemple).
Observer les États qui, ces dernières années, ont appliqué une politique nationaliste permet de mesurer les effets de l’idéologie qui l’inspire. Les situations historiques diffèrent mais les convergences sont fortes : aux États-Unis le trumpisme stigmatise les communautés LGBT, l’Islam, les hispaniques et les Noirs ; en Inde Modi et ses partisans discriminent les Musulmans devenus citoyens de seconde zone. L’autoritarisme, dans un double mouvement, cible les institutions démocratiques et réinterprète l’histoire : Bolsanaro, qui méprise tous les contre-pouvoirs, a minimisé le passé dictatorial du Brésil, le PiS en Pologne a travaillé à instaurer un État centralisé et dégagé des contrôles constitutionnels, et s’est appliqué à réviser les mythes fondateurs de la nation, de même que Poutine en Russie façonne à sa main l’histoire du pays et impose un récit national en censurant la recherche indépendante.
Les discours jouent sur les peurs et les haines, et s’attachent à les entretenir et à les alimenter. Partout en Europe, les partis d’extrême droite déploient une rhétorique identitaire, parfois sous couvert d’un discours social, dénonçant des « flux migratoires » fantasmés, faisant croire que les personnes immigrées constituent un coût plus qu’un atout et mobilisant régulièrement, comme en Espagne ou aux États-Unis, des dogmes religieux. Le conservatisme moral prôné par l’extrême droite est d’ailleurs souvent très hétérogène, mêlant identité chrétienne et anti-modernité, et instruisant de faux procès à un « wokisme » dont il ne se soucie guère de démontrer l’existence.
Les textes ici rassemblés contribuent, chacun à leur manière, à dénoncer les faux-semblants du discours identitaire et à montrer que la séduction qu’il exerce repose sur des fondements en grande partie mensongers. Ils démontrent aussi que l’extrême droite au pouvoir affaiblit la démocratie, divise la société civile et instrumentalise l’État.
par , le 5 juillet
La rédaction , « Ce que l’extrême droite fait au monde », La Vie des idées , 5 juillet 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Ce-que-l-extreme-droite-fait-au-monde
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