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Dossier International

Trump contre les Nations unies


par Marieke Louis , le 3 juin
avec le soutien de GRAM



Les sorties de Donald Trump contre l’ONU qui fête ses 80 ans cette année invitent à réfléchir à cette nouvelle crise traversée par cette institution : quel est l’agenda de Donald Trump pour les organisations internationales ? Que nous dit cet agenda de la santé de l’ordre international libéral fondé en 1945 ?

Il y a 80 ans, le 26 juin 1945, 51 États au premier rang desquels figuraient les États-Unis adoptaient à San Francisco la Charte des Nations Unies, qui allait entrer en vigueur quelques mois plus tard, le 24 octobre 1945.

Ce texte abondamment commenté et au célèbre préambule : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances … », a évidemment de quoi laisser sceptique au moment où l’ONU s’apprête à entrer dans sa neuvième décennie.

L’ironie de l’histoire veut que l’ONU célèbre cet anniversaire au moment où elle se voit attaquée par l’administration Trump, qui envisage de réformer radicalement son fonctionnement, tout en annonçant son retrait de l’Organisation mondiale de la santé et du Conseil des droits de l’Homme et en invectivant l’inefficacité et la politisation de son administration.

Si les sorties – au double sens du terme – de Donald Trump ont constitué le point de départ de ce dossier, la concomitance avec les 80 ans de l’organisation offre aussi une occasion de réfléchir à cette nouvelle crise traversée par l’ONU, en articulant deux dimensions de la réflexion. D’abord, sur le temps court de l’actualité du multilatéralisme : en quoi consiste l’agenda de Donald Trump pour les organisations internationales ? Ensuite, sur le temps plus long des transformations du multilatéralisme : que nous dit cet agenda de l’ordre international libéral (re)fondé en 1945 et de sa santé ?

Ce dossier, porté par la rédaction de La Vie des idées et du Groupe de recherche sur l’action multilatérale (GRAM, CNRS) et de son Observatoire aborde de front ces questions sous quatre angles différents, et tente d’apporter une grille d’analyse qui fait souvent défaut, en raison d’un traitement médiatique parcellaire et superficiel dont les organisations internationales font trop souvent l’objet.

L’essai de Camille Bayet, Mathilde Leloup, Marieke Louis et Anaëlle Vergonjeanne analyse les ressorts du projet d’un « DOGE » (du nom du nouveau Département de l’efficacité gouvernementale porté par Elon Musk) appliqué à l’ONU afin de rendre cette dernière plus « transparente » et « efficace », tirant profit de la complexité institutionnelle de l’organisation, de réformes enkystées depuis des décennies et de scandales dans lesquelles l’ONU a été prise, a fortiori depuis le 7 octobre. Envisageant plusieurs scénarios de sortie de crise, l’essai montre que, loin de proposer une quelconque rationalisation de l’action publique internationale, le « DOGE-UN » réactive surtout la stratégie du bouc-émissaire. Sous couvert de fausses promesses et de raisonnements aussi séduisants que fallacieux, les États-Unis de Trump sont-ils toujours volontaires pour continuer à assumer leur position de leader originel ?

L’entretien avec Tim Heinkelmann-Wild vise précisément à explorer ces dynamiques de leadership et à réfléchir sur les alternatives qu’ouvre cette nouvelle période de crise. Il revient d’abord sur l’histoire plus longue de l’engagement ambivalent des États-Unis au sein des organisations internationales et en décryptant la stratégie du bouc-émissaire. Mais rebours du projet trumpiste, c’est selon lui la combinaison de nouveaux leaders européens et d’un renforcement de l’administration onusienne qui permettra au multilatéralisme de résister.

Mélanie Albaret et Auriane Guilbaud reviennent également sur les logiques du désengagement trumpiste, depuis son premier mandat, à l’OMS et au Conseil des droits de l’Homme. Cette comparaison permet d’examiner la variété des critiques qui touchent les organes des Nations unies (instrumentalisation, partialité, politisation…), mais aussi le potentiel d’une délégitimation plus globale des institutions multilatérales si les États-Unis font réellement défection et qu’aucune autre puissance ne vient prendre le relais.

Enfin, Frédéric Ramel et Simon Tordjman proposeront un portrait de l’universitaire étatsunien John Gerard Ruggie (1944-2021), auteur d’une œuvre majeure sur l’ONU et notamment d’un ouvrage séminal, Multilateralism Matters : the Theory and Praxis of an Institutional Form, paru en 1993, avant de devenir lui-même rapporteur spécial sur la question des entreprises multinationales et des droits humains.

En proposant une analyse de la forme multilatérale comme lieu d’équilibre et de maillage entre acteurs de nature diverse, l’œuvre scientifique et politique de Ruggie permet d’appréhender les fragilités et les leviers de renouvellement de la coopération multilatérale entre États, marché et sociétés civiles.

Les spécialistes des relations internationales et du multilatéralisme sont familiers des critiques portées à l’encontre des organisations internationales, au point de devoir en défendre le bilan ou bien d’en rappeler la raison d’être au lieu d’expliquer la nature des dysfonctionnements et des défis de la coopération internationale. Mais si cette posture engagée est parfois nécessaire, c’est aussi parce que trop souvent, en dépit d’une abondante littérature sur le sujet, les connaissances sur l’ONU et le fonctionnement des organisations internationales en général « ne passent pas. »

Sans céder ni à l’alarmisme d’un « c’est du jamais vu » ni à l’indifférence de « l’ONU en a vu d’autres », ce dossier vise surtout à montrer que sous réserve des bons diagnostics, une autre réforme de l’ONU est possible, et plus que jamais nécessaire. Chaque texte de ce dossier met ainsi en creux l’accent sur les pistes que pourrait prendre cette réforme, ce qui nécessite de remettre la question de la légitimité au centre du débat, en assumant que le multilatéralisme est avant tout un projet politique et que, à rebours du projet trumpiste, le renforcement des capacités bureaucratiques et de l’autonomie des organisations internationales ne signifie aucunement une rupture avec les sociétés, mais doit au contraire permettre d’élargir notre horizon démocratique au-delà de l’État.

par Marieke Louis, le 3 juin

Pour citer cet article :

Marieke Louis, « Trump contre les Nations unies », La Vie des idées , 3 juin 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Trump-contre-les-Nations-unies

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