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Diminution des mises en chantier, tassement des ventes de logements, allongement des délais de commercialisation, arrêt de la hausse des prix, puis amorce de baisse : tous les signes sont là pour indiquer le début d’un retournement de la conjoncture immobilière. Doit-on pour autant parler de crise, un terme constamment utilisé et notamment depuis la fin des années 1990, pendant la phase de croissance de l’activité immobilière et de hausse des prix ?

Le terme de crise peut être utile pour mobiliser l’opinion, mais il n’éclaire en rien les mécanismes du marché qui sous-tendent les évolutions en cours. Bien au contraire, son emploi indifférencié laisse entendre que la situation normale (de « non crise ») serait celle où l’activité immobilière progresse dans la stabilité des prix. Or l’une des spécificités du marché immobilier est précisément que la croissance de l’activité est concomitante de la hausse des prix et que, à l’inverse, diminution de l’activité et baisse des prix vont de pair. Ce phénomène s’est vérifié à de nombreuses reprises dans le passé, comme en Île-de-France lors du boom de la fin des années 1980 et du retournement qui a suivi.

La situation actuelle n’a donc rien d’inédit ; elle était d’ailleurs attendue. Après des années de progression ininterrompue de l’activité et de la hausse des prix, un ralentissement devait fatalement se produire, ne serait-ce qu’en raison de la diminution de la demande solvable. La seule interrogation portait sur le moment auquel il interviendrait et surtout sur son ampleur.

La hausse des taux et la crise des subprimes ont été les éléments déclencheurs, mais ils n’expliquent pas tout. La décélération des prix avait commencé en 2007 et on observe depuis le début de 2008 des baisses dans certaines localisations. Dans l’agglomération parisienne, selon les notaires, les prix se sont stabilisés au premier trimestre et le volume des transactions est en baisse sensible. L’observatoire des marchés de l’ancien de la FNAIM constate, lui aussi, un quasi-arrêt de la hausse des prix (+ 1,7 % sur un an au deuxième trimestre 2008), ce qui, compte tenu d’un taux d’inflation de 3,3 %, correspond à une baisse en euros constants.

Des marchés très divers

Un élément à prendre en considération tient à la diversité des marchés du logement : on voit bien que la baisse la plus forte concerne les marchés les moins tendus, à la différence de ce qui s’était passé lors de l’éclatement de la bulle immobilière en 1990, qui n’avait concerné que les zones les plus chères, Paris et la Côte d’Azur, là où les prix avaient précédemment beaucoup augmenté. La hausse des prix de ces dix dernières années a touché tous les marchés, et même tous les pays développés, sauf l’Allemagne et le Japon. Or c’est aujourd’hui dans les marchés les moins tendus que la chute des mises en chantier est la plus brutale. Ce n’est un secret pour personne que, dans certaines localisations, notamment les villes petites et moyennes, l’offre de logements, notamment de locatifs neufs, est aujourd’hui abondante ; il est donc logique que la construction marque le pas.

L’offre de crédit

Il est commode d’expliquer la crise par la fermeture des robinets du crédit. Y aurait-il un credit crunch, à l’image de ce que l’on observe aux États-Unis, c’est-à-dire une situation dans laquelle les banques refusent de prêter, notamment du fait d’une appréciation plus sévère du risque ? Certes, la crise américaine a peut-être conduit certains établissements à porter plus d’attention aux risques sur les prêts immobiliers, mais, en France, la sinistralité sur les crédits aux accédants reste extrêmement faible, au regard des normes anglo-saxonnes. En tout état de cause, si le problème était là, le Fonds de garantie de l’accession sociale suffirait en partie à le résoudre, puisque son rôle est précisément de garantir les prêts accordés aux primo-accédants modestes. Les pertes considérables subies par nombre d’établissements, en France et dans le monde entier, concernent, il faut le rappeler, des prêts faits à des emprunteurs américains. En revanche, les banquiers, comme ils l’expliquent eux-mêmes, font face à un sérieux problème de liquidités. La réduction de la trésorerie de l’épargne logement et l’attrait des épargnants pour des produits de placements comme les assurances-vie font que les banques recourent de façon croissante au marché pour l’adossement de leurs prêts. Et ils éprouvent à présent des difficultés à trouver les ressources longues dont ils ont besoin pour fabriquer des prêts à taux fixes.

Or cette crise de liquidité est le contrecoup direct de la crise des subprimes. La plupart des établissements financiers français détenaient, en effet, des actifs composés en partie de crédits subprime titrisés, mais, en raison de l’opacité du système de titrisation, étaient incapables d’évaluer les risques de perte qu’ils encouraient. D’où une crise de confiance qui entrave le fonctionnement du marché interbancaire et, par voie de conséquence, induit des difficultés de refinancement et le resserrement de l’offre de crédit. Reste à savoir combien de temps durera cette crise d’accès à la liquidité dans une économie mondiale où les liquidités semblent rester très abondantes.

Pour autant, la concurrence pour les parts de marché reste vive, mais elle est plus sélective. On sait que le prêt au logement est en France un produit d’appel ou de fidélisation et que les titulaires d’un compte ont en moyenne sept produits. Les « bons clients » des banques, disposant d’apport personnel, obtiennent encore des prêts dont le taux n’est pas très élevé par rapport aux taux des emprunts d’État, mais la compétition s’atténue et l’offre se fait plus hésitante lorsqu’il s’agit de primo-accédants modestes qui doivent emprunter la quasi-totalité du prix de leur opération. Parmi ces derniers, certains essaient de se tourner vers des établissements qui acceptent de leur prêter à des conditions plus onéreuses et souvent à taux révisables. Or les taux révisables sont aujourd’hui aussi élevés que les taux fixes ; ils n’apportent donc aucun avantage en contrepartie du risque de hausse du taux.

Néanmoins, bien que supérieurs d’environ 1,3 point au niveau minimal atteint en 2006, les taux fixes sont encore relativement bas (de l’ordre de 5,5 % en moyenne). Cependant, sur vingt ans, une hausse de ce niveau se traduit par une réduction de la capacité d’emprunt d’environ 10 %. La remontée des taux courts, qui déterminent le niveau des taux variables, a, elle, été beaucoup plus sensible. La hausse des taux est donc plus élevée pour les emprunteurs les plus modestes, qui de surcroît doivent financer une part plus importante de leur opération par l’emprunt.

Un problème d’une nature particulière est également posé par ceux qui doivent avoir recours à un prêt relais : dans ce cas, la crainte de baisse des prix joue à plein, puisque le risque n’est pas celui de l’insolvabilité, mais celui de la mévente ou de la baisse des prix, c’est-à-dire de la mauvaise vente. Bref, ce n’est pas le risque de défaillance des clients qui retient les banques. Il n’en reste pas moins que, si le resserrement de l’offre de crédit n’est pas le facteur principal du retournement, il en accélère probablement l’ampleur. Hausse générale des prix depuis dix ans, saturation de la demande dans certaines localisations, hausse des taux, resserrement de l’offre de crédit, tous ces éléments vont dans le même sens et ont un effet cumulatif. Les délais de commercialisation s’allongent et les « bons clients » qui peuvent sans peine obtenir un crédit savent qu’ils peuvent prendre leur temps. La perspective d’une baisse des prix, fût-elle éventuelle, n’est pas un facteur qui incite à des décisions rapides. Tout cela explique la brutalité, encore relative, du retournement.

Vers un marché plus volatil ?

Les ménages contraints de revendre leur logement sans intention ou possibilité de rachat immédiat peuvent être en difficulté, mais ce sont d’abord les acteurs de la filière de la construction neuve qui vont souffrir de la rapidité de l’ajustement. Nombre d’entre eux avaient anticipé ce mouvement, bien que la volatilité des prix et les variations du volume de constructions, voire de transactions, aient été, dans le passé, plus faibles en France que dans les pays anglo-saxons. Cela tenait à la taille du secteur locatif, à un taux d’endettement relativement faible, mais surtout à l’importance de l’intervention de l’État dans ce secteur.

Aujourd’hui, la puissance publique est-elle en mesure d’éviter des à-coups trop brutaux ? La collectivité est-elle condamnée à intervenir, qu’il s’agisse d’aider les ménages à faire face à la hausse des prix ou d’éviter une baisse des prix ? Il ne s’agirait pas, comme aux États-Unis ou en Espagne, de venir au secours d’accédants menacés d’expulsion, mais de jouer un rôle contra cyclique. La construction locative sociale a longtemps joué ce rôle, mais on sait qu’aujourd’hui il ne suffit pas de programmer des logements HLM pour les réaliser : il faut convaincre les collectivités locales d’en accepter sur leurs territoires.

L’accession sociale a également joué ce rôle et les exemples sont nombreux, qu’il s’agisse du lancement du prêt à 0 % ou du plan Charrette. Mais le pouvoir solvabilisateur des aides est considérablement réduit : dans le segment du neuf, le montant moyen de l’aide apportée par le prêt à 0 % par rapport au montant des opérations est passée de 10 % en 1996 à 4 % en 2006 . Le nouveau dispositif mis en place avec les partenaires sociaux réunis au sein du 1 %, le PASS-FONCIER est extrêmement puissant, puisque l’attribution d’une subvention d’un montant modeste par une collectivité locale, déclenche une très forte aide supplémentaire du plan national, mais dans l’attente de son extension au collectif, il reste limité à la maison individuelle et, par voie de conséquence, aux zones les moins tendues. Avant le retournement, tout le monde s’accordait sur un objectif prioritaire, lever les freins à la construction pour juguler la hausse des prix, et pour introduire un peu de mixité sociale sur les marchés tendus. Les aides publiques en matière d’accession peuvent avoir pour effet de lisser le niveau d’activité pour préserver l’emploi et l’appareil de production, mais leur objectif premier ne saurait être d’empêcher des ajustements de prix qui sont souhaitables. Les baisses que l’on observe aujourd’hui vont peut-être conduire à ce que le rapport entre le prix des logements et le revenu des ménages, qui s’était considérablement accru, redevienne plus supportable.

Une première version de ce texte a été publiée dans la revue de l’ANIL, Habitat Actualité, le 1er septembre 2008.
Dossier(s) :
La crise économique

par Bernard Vorms, le 13 octobre 2008

Pour citer cet article :

Bernard Vorms, « Quelle crise immobilière ? », La Vie des idées , 13 octobre 2008. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Quelle-crise-immobiliere

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