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Essai Philosophie Portraits

Nancy Fraser ou la théorie du « prendre part »


par Estelle Ferrarese , le 20 janvier 2015


Le renouvellement du socialisme suppose, selon Nancy Fraser, qu’on lie pratique militante et théorie politique : l’émancipation ne peut être comprise qu’à partir des luttes sociales, dont les formes sont aujourd’hui multiples. Et elle implique une participation égale, dans toutes les sphères de la vie.

Dans les entretiens qu’elle accorde, Nancy Fraser se décrit volontiers comme une enfant de la New Left. La lecture de son œuvre révèle qu’elle ne doit pas à la politique qu’une éducation ; la pratique militante lui a donné nombre de ses objets de philosophe, comme les espaces publics subalternes, la gauche ou encore le féminisme.

Ainsi défend-elle l’idée que l’espace public n’est pas la sphère unique, co-extensive à la communauté politique, modélisée par Jürgen Habermas, mais qu’il se constitue aussi de contre-publics subalternes. Ceux-ci sont conçus comme « des arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, ce qui leur permet de fournir leur propre interprétation de leurs identités, de leurs intérêts et de leurs besoins » [1], car c’est ce que l’expérience vécue des espaces de discussion féministes et pacifistes des années 1960 a appris à Nancy Fraser. Son insistance sur la pluralité d’espaces publics distincts se porte au point de défendre l’idée qu’« une question est politique si elle est disputée dans un grand nombre d’arènes discursives, et au sein de différents publics » [2]. Pourtant la pluralité n’est pas célébrée pour elle-même – Nancy Fraser n’a jamais été sensible à la tentation postmoderne –, mais parce qu’elle est un outil de l’émancipation. Les contre-publics subalternes constituent des espaces de regroupement et des terrains d’essai pour des activités de revendication et de contestation ensuite dirigées vers des publics plus larges. Cette logique leur permet de compenser en partie les privilèges de participation dont bénéficient les membres des groupes sociaux dominants. Elle constitue donc un dispositif de l’émancipation, horizon à l’aune duquel Nancy Fraser évalue tous les mouvements, toutes les politiques publiques et toutes les propositions théoriques qu’elle aborde.

Autre emprunt à son expérience de militante, Nancy Fraser s’est régulièrement donné pour tâche de penser la gauche, ses évolutions et ses impasses, comme la « condition postsocialiste » ou les différents tournants du féminisme. Pour ce faire, et tout en se définissant comme « socialiste », elle s’appuie assez peu sur Marx dont elle a pourtant intensément fréquenté les écrits dès ses années activistes, où elle le lit sous l’influence de Marcuse. S’il apparaît parfois pour définir la Théorie critique ou dans la conviction exprimée que la démocratie politique exige une égalité sociale substantielle, position qu’elle lie à « la critique du libéralisme, encore inégalée à ce jour, que Karl Marx effectue dans la première partie de La Question juive » [3], il n’est que récemment venu hanter ses textes, et en particulier « Behind Marx’s Hidden Abode. For an Expanded Conception of Capitalism » [4].

De manière générale les auteurs mobilisés par Nancy Fraser sont au début de sa carrière plutôt français (de Foucault à Derrida), puis plutôt allemands (de Habermas à Honneth). La bascule se repère dans l’un de ses articles les plus célèbres, « La lutte pour l’interprétation des besoins » (1989), où les influences de Foucault et de Habermas se croisent, avant que Nancy Fraser n’emprunte définitivement la voie allemande.

Que ce soit lorsqu’elle respirait « le parfum grisant des années 1960 et 1970 » [5], ou dans les périodes de reflux politique, Nancy Fraser s’illustre par un féminisme ferme et confiant, à l’image de la phrase qui clôt sa critique du féminisme lacanien : « Il ne saurait être question de parler de post-féminisme aussi longtemps qu’on ne pourra parler légitimement de post-patriarcat ».

Sans véritablement recourir à l’analyse de classe, son féminisme situe les rapports entre les hommes et les femmes d’abord sur le terrain de l’économie politique, tout en s’ouvrant aux questions du travail de care, de la reproduction, et à partir des années 1990, de la reconnaissance. Le travail de care y occupe en particulier une place importante. En son nom elle refuse la tentation d’œuvrer à l’assimilation des femmes, en tant que salariées, dans la société capitaliste, et s’emploie à penser la transformation des structures du système et des valeurs qui l’animent – ce qui suppose par exemple selon elle de relativiser la place du travail salarié et de valoriser les tâches non rémunérées, de care, socialement indispensable, qu’accomplissent les femmes.

Néanmoins la pensée de Nancy Fraser est une pensée sans paradis originel ; aucune force, aucun groupe, aucune lutte ne s’y trouve paré d’innocence. Ainsi, à propos des contre-publics subalternes évoqués plus haut, elle précise ainsi qu’elle ne veut surtout pas dire qu’ils sont « toujours et obligatoirement vertueux. » [6] Des années plus tard, elle débusque la tendance, dans les discours anticapitalistes, à exempter ce qui échappe au moins en partie au marché, comme la nature ou la puissance publique, de toute critique, romantisme qu’elle récuse notamment parce que ces entités ne situent pas en dehors du capitalisme, mais sont co-constituées par et avec lui. De même, elle reproche à Karl Polanyi d’opposer une « bonne société » à une « méchante économie », et d’être aveugle aux formes de domination et de hiérarchies présentes dans la société, et externes au marché. C’est dans cette perspective encore qu’il faut lire sa critique tranchante et récurrente de l’État-providence, accusé d’avoir traité celles et ceux qu’il assurait servir davantage en clients, en consommateurs et en contribuables qu’en citoyens à part entière. Le féminisme lui-même fait l’objet d’une enquête sur ses possibles affinités électives avec le néolibéralisme, affinités qu’elle situe dans la critique de l’autorité traditionnelle, et qui se manifestent dans la faculté qu’a eue le féminisme d’alimenter, ces quarante dernières années, le marché du travail en lui fournissant une main-d’œuvre féminine, rêvant d’émancipation, peu qualifiée et mal rémunérée.

Sur cette base, Nancy Fraser déploie une théorie originale et constante dans ses parti-pris, dont quatre aspects au moins peuvent être mis en lumière : l’omniprésence, à chaque moment de sa réflexion, des luttes sociales et politiques, le poids normatif conféré à la politique, notamment à la forme de participation qui lui est propre, le refus de toute considération psychologique pour comprendre et configurer l’agir politique ou la scène politique ; enfin un socialisme rendu hétérodoxe par le sens conféré à l’émancipation.

La cardinalité des luttes

Nancy Fraser entend élaborer une théorie critique de la société, ce qui implique selon elle de structurer son programme de recherches et son cadre conceptuel en observant les finalités et les activités des mouvements sociaux protestataires. La définition de la Théorie critique donnée par Marx en 1843, comme « clarification opérée par le temps présent sur ses propres luttes et ses propres aspirations » [7] figure en bonne place dans son œuvre. Dès lors les luttes sont omniprésentes dans ses travaux. C’est de leurs montées en puissance qu’elle s’autorise systématiquement pour prendre la parole sur des questions de justice.

C’est ainsi en raison de l’apparition, dans les années 1980-1990, de nouvelles formes de conflits sociaux, recourant au vocabulaire de la reconnaissance, et mettant fin à une longue prédominance des revendications de redistribution, qu’elle se donne une conception duelle de la justice : une dimension objective, touchant à des critères de répartition des richesses, et une dimension intersubjective, portant sur la reconnaissance du statut. C’est par les luttes encore qu’elle approche le cadre westphalien, c’est-à-dire la structuration nationale des questions de justice, et son nécessaire dépassement, soulignant qu’il faut prendre en considération l’existence de « méta-luttes » qui contestent les procédures nationalisées de règlement des conflits.

Ce type de clôture territoriale dénie à certains le statut et la position de partie légitime dans des affrontements portant sur la justice, ce que dénoncent les manifestations qui prennent pour cible les nouvelles structures de gouvernance de l’économie mondiale, qui ont fortement accru les possibilités des grandes compagnies et des investisseurs d’échapper aux pouvoirs de régulation et de taxation des États territoriaux.

C’est à nouveau par le prisme de nouvelles grammaires des conflits sociaux, portant sur l’environnement, la reproduction sociale, et la puissance publique qu’elle observe depuis quelques années la crise du capitalisme. Son lien même à Habermas provient peut-être d’abord de ce qu’elle interprète la problématique de la communication comme la tentative d’un penseur post-marxien d’éclairer de nouvelles formes de conflit social, qui ne sont pas centrées sur l’exploitation du travail. Dans Théorie de l’agir communicationnel il se donnait en effet à penser des nouvelles formes de conflit social, moins centrées sur la distribution que sur la « grammaire des formes de vie. »

L’importance qu’elle accorde aux luttes, Nancy Fraser la pense comme une réaction à ce qu’elle décrit comme « l’un des pires aspects du marxisme et du féminisme socialiste des années 1970 : une conception absolutisée de la société capitaliste comme système monolithique de structures d’oppression emboîtées les unes dans les autres et qui se renforcent mutuellement. » [8] Si donc elle observe la crise du capitalisme par les nouvelles luttes qu’elle engendre, c’est que cela lui permet de l’interpréter non pas comme un effondrement systémique objectif, mais comme un processus intersubjectif ; il s’agit de faire droit aux réponses des acteurs sociaux aux changements qu’ils perçoivent, et à la manière dont ils interagissent les uns avec les autres. Ce processus intersubjectif ne prend pas la forme de la négociation. Il serait vain de chercher chez Nancy Fraser quelque chose de ce paradigme que l’on croise de plus en plus souvent dans les humanités contemporaines, selon lequel l’acteur s’ajuste et louvoie face à des forces qui le dépassent. L’individu n’est jamais décrit en transaction avec un ordre et ses normes, ni comme faisant valoir son intérêt en ayant recours à la concession soigneusement calculée. Dans la théorie sociale de Nancy Fraser celui qui n’accepte pas les règles et les valeurs du système est en lutte contre lui, ou tente de l’être.

Le projet de conduire une théorie critique de la société suppose une identification partisane du théoricien aux luttes d’une époque. Nancy Fraser tempère cependant cet impératif de deux manières. D’une part le théoricien livre simplement selon elle des propositions dans l’espace public sans s’arroger de fonction d’avant-garde : « c’est une proposition que je fais à mes interlocuteurs, à mes partenaires d’interaction, quand nous débattons du foulard islamique, des impôts, etc. : je leur propose de répondre à la question ‘est-ce que cela va promouvoir la parité de participation ?’ » [9]. D’autre part, ainsi qu’elle l’énonce au moment de sa controverse avec Axel Honneth, les représentations populaires de ce qu’est la justice ne constituent pas pour elle un fondement inchangeable dont dériverait le cadre normatif de la Théorie critique : « Le théoricien critique doit au contraire évaluer leur pertinence depuis deux perspectives au moins. Il doit déterminer, du point de vue de la théorie de la société, si les grammaires hégémoniques de contestation sont appropriées pour la structure sociale existante, et du point de vue de la philosophie morale, si les normes auxquelles ces grammaires se réfèrent sont moralement valides » [10].

Ainsi, elle critique les revendications de reconnaissance identitaire, notamment parce qu’elles tendent à favoriser, au sein d’un groupe, le conformisme, l’intolérance et le maintien de structures patriarcales, sans pour autant considérer ceux qui luttent pour la reconnaissance d’une identité collective comme des dupes : elle invoque un « équilibre entre indépendance vis-à-vis de, et sympathie pour, les sujets en luttes. » [11] D’un autre côté, elle ne conclut pas de l’absence de critique explicite ou de protestation ouverte dans un contexte donné que celui-ci ne donne lieu à aucune injustice. Car les moyens de communication et d’interprétation d’une société ne servent pas tous ses membres de manière aussi favorable. Ils peuvent rendre impossible à certains de faire la preuve du tort dont ils sont victimes.

Ces luttes que Nancy Fraser explore inlassablement structurent chaque époque. Elles ne sont pas des événements rares et disruptifs, introduisant le chaos dans un ordre habituellement stable ; elles contestent autant un ordre qu’elles ne concourent à le produire. Ainsi l’État territorial moderne est-il défini comme ayant été pendant des siècles l’unité pertinente pour susciter et résoudre les conflits portant sur ce que les individus se doivent précisément les uns aux autres. Les luttes ont aussi un « rôle constitutif » pour le capitalisme compris comme un ordre social institutionnalisé. Sa configuration précise à chaque époque résulte (aussi) des luttes en son sein portant sur les frontières entre production et reproduction, entre l’économie et la politique, etc., et de leurs résultats.

Il convient donc de relever le caractère routinier et structurant que Nancy Fraser leur prête, sans pour autant les investir d’un quelconque telos ; les luttes sont bien pour elle le moteur de l’histoire, mais leur succession ne nous dirige pas inéluctablement vers un horizon préétabli.

L’aune de la participation et le poids normatif de la politique

Nancy Fraser charge la politique d’une valeur normative toute particulière : les attentes qu’elle fait peser sur la pratique et la scène politiques se trahissent dans bien des recoins de sa théorie.

Le modèle de reconnaissance qu’elle propose est ainsi tendu par une interrogation sur les agencements politiques qui empêchent certains membres de la communauté politique d’être les pairs des autres (par opposition à Axel Honneth, son grand contradicteur, qui a longtemps pensé la reconnaissance en laissant à l’arrière-plan la question des institutions). De même la société civile, définie comme le lieu de l’expérience vécue de la politique, celui des associations et des prises de parole publiques, comme ce qui échappe autant à l’État qu’à l’économie, surgit-elle dans des zones théoriques inattendues. Nancy Fraser lui confie par exemple des tâches qui lui échappent dans la majorité des philosophies politiques contemporaines, telle que le travail du care, qui devrait selon elle être réalisé hors des foyers. « Dans des institutions financées par l’État, mais organisées localement, des adultes sans enfants, des personnes âgées et d’autres personnes sans responsabilités fondées sur les liens de parenté s’engageraient avec des parents, et d’autres individus, dans des activités de care démocratiques et autogérées », suggère-t-elle dans « Après le revenu familial » [12].

Toutefois, c’est surtout le primat qu’elle confère à l’idée de participation qui pare sa réflexion d’un enjeu immédiatement politique. La justice d’une mesure ou d’une société est évaluée à l’aune de la participation qu’elle rend possible, de l’égalité qu’elle institue dans un « prendre part » à la construction des modèles institutionnalisés de valeurs culturelles, à la délibération quant aux règles de la redistribution, et plus largement, à toutes les activités sociales. Il importe, nous dit-elle, de faire des individus des partenaires à part entière dans l’interaction sociale. C’est ce qui distingue sa théorie de la justice des travaux mobilisant la notion de capabilités, par exemple, au sens où elle ne se focalise pas sur le fonctionnement humain, mais s’attache aux possibilités d’interaction sociale. Mais plus que d’illustrer son souci de prendre en considération « le caractère social de la vie sociale » [13], la notion de parité, qui absorbe l’idée d’égalité chez Nancy Fraser, compose un motif prégnant qui suppose une activité, une activité politique : la formulation de revendications et d’énoncés au cours du processus de décision collectif. Posant que la justice en son sens le plus large signifie parité de participation, elle décrit ce positionnement comme « une interprétation radicale-démocratique du principe d’égale valeur morale » [14], qui met son soubassement politique en évidence.

La notion de parité de participation apparaît d’ailleurs pour la première fois dans l’œuvre expressément liée à la participation politique, dans « Repenser l’espace public. Une contribution à la critique de la démocratie réellement existante » (1992). Le modèle libéral de l’espace public y est décrit comme inopportun car il ne pose pas l’égalité sociale comme une condition nécessaire de sa pleine réalisation. [15] La parité de participation a donc d’abord été conçue par Nancy Fraser comme essentielle à un espace public démocratique, avant d’être dilatée au-delà de ses frontières originales.

Montrer que la politique possède un poids normatif particulier dans la théorie de Nancy Fraser ne revient pas à dire que ce champ en tant que sphère fonctionnelle, domaine d’objets particuliers, y prime sur les autres domaines d’activités ou imposerait ses exigences aux autres sphères de la vie. Car Nancy Fraser répète bien au contraire fréquemment que le principe de parité de participation s’applique à toutes les arènes d’interaction sociale, à la famille et à la vie personnelle, à l’emploi et au marché, tout autant qu’à la politique formelle et informelle et aux associations de la société civile. Et puisque l’on peut être exclu de certaines de ces arènes sans l’être des autres, le théoricien critique se doit d’exercer une veille symétrique sur chacune d’elles.

De la même manière, le politique n’a pas de place privilégiée dans sa théorie de la justice. Corrigeant une théorie d’abord bidimensionnelle, Nancy Fraser a ajouté, à partir de 2005 et de « Reframing Justice in a Globalizing World » [16], à la distribution et à la reconnaissance, une nouvelle dimension à la justice, la dimension politique. Ici, « politique » revêt un sens qui touche à la nature de la compétence de l’État et aux règles de décision avec lesquelles celui-ci structure les controverses publiques. Centrée sur les questions de procédures et d’allocation de la qualité de membre de la communauté politique, la dimension politique de la justice se préoccupe surtout de représentation.

Or Nancy Fraser refuse l’idée que les relations sociales de représentation déterminent celles de redistribution et celles de reconnaissance. C’est là une configuration qui passe à côté de la complexité des causalités dans la société capitaliste. Corrélativement, la justice ne saurait être ramenée à la mise en œuvre d’une certaine conception de la représentation. Le politique en tant que champ de procédures et de l’appartenance politique n’est donc qu’une dimension parmi les autres de la justice, voire, étant donné son apparition tardive et moins étayée dans l’œuvre, une dimension complémentaire ; néanmoins, le poids normatif de la politique véhiculé par l’idée de participation se fait sentir sur la théorie sociale, la philosophie morale de Nancy Fraser, et jusque dans son ontologie sociale, qu’elle conforme profondément.

Le sujet qui émerge des écrits de Nancy Fraser est en effet intrinsèquement politique. Il ne se définit pas seulement par une autonomie, au sens d’une capacité à se déterminer soi-même, mais il transforme le monde ou s’efforce de le faire. La participation qui lui est due est un prendre-part, qui est co-construction du monde, des valeurs culturelles, des normes, des relations dyadiques, de la communauté politique, etc. Il ne s’abstient pas, il ne se retire pas. Il ne se contente pas de « s’exprimer ». Ainsi, Nancy Fraser relève-t-elle, à propos des besoins socialement reconnus, que les groupes subordonnés formulent des interprétations qui visent à mettre en cause, à supplanter ou à modifier les interprétations dominantes de ceux-ci, par exemple touchant à la parentalité. Mais, prévient-elle, dans aucun de ces cas les interprétations ne sont de simples « représentations ». Elles sont à chaque fois des actes et des interventions [17]. Le sujet selon Nancy Fraser n’a donc pas simplement une voix, il pèse sur le monde. Il est d’abord politique.

Une psyché tenue à distance du politique

Un trait récurrent de la théorie de Nancy Fraser est de présenter les signes d’une méfiance foncière vis-à-vis de la psyché comme justification et de la psychologie comme technique, l’une et l’autre soupçonnées d’effets assujettissants et idéologiques. Dans une veine foucaldienne, et sans aller jusqu’à développer de critique de la psychanalyse à proprement parler, elle s’oppose à une vulgate psychologisante qui dé-politise certains problèmes sociaux et donne à la famille une puissance d’explication causale sans limite.

Elle défend ainsi l’idée que les espaces publics sont des lieux où non seulement s’expriment mais se forment les identités individuelles et collectives. Les espaces publics subalternes en particulier, fournissent selon elle aux membres des différents groupes dominés le cadre qui leur permet de comprendre leurs expériences comme partagées et de développer de nouveaux récits de soi : « Les arènes publiques discursives comptent parmi les lieux les plus importants (et les moins reconnus) dans lesquels les identités sociales se construisent, se déconstruisent et se reconstruisent. Je m’inscris donc en faux contre les différentes interprétations psychanalytiques sur la formation de l’identité, qui négligent l’importance des interactions discursives formatives post-œdipiennes en dehors du noyau familial et qui ne parviennent pas à expliquer les glissements d’identité au fil du temps. » [18]

La psyché est un domaine qui doit rester hors champ dans la théorie politique, ce que Nancy Fraser démontre de multiples manières. Par exemple, pour elle, le problème du déni de reconnaissance ne dépend pas de la présence d’éventuels effets de celui-ci sur le rapport à soi, de la réalité d’une souffrance morale ou psychique. Elle envisage le déni de reconnaissance comme « un tort relevant du statut, situé dans les relations sociales, et non dans la psychologie. » [19]

D’un autre côté, la sphère politique instituée ne saurait atteindre ses finalités, même légitimes, en pesant sur les psychés ; une démocratie n’a pas à produire les citoyens dont elle a besoin pour se maintenir, comme le suppose par exemple John Rawls pour qui il appartient à l’État de se préoccuper de « l’acquisition d’une faculté de comprendre la culture politique et de participer à ses institutions, [de] la capacité à être des membres de la société économiquement indépendants leur vie durant, à développer des vertus politiques ». [20] Il n’est aucune place dans la théorie politique de Nancy Fraser pour l’éducation, et la solution aux dénis de reconnaissance ne se trouve pas dans la (ré)-éducation d’esprits enténébrés dont on policerait les croyances, une solution qu’elle qualifie d’ « autoritaire » [21].

La psychologie et la psychiatrie sont en outre régulièrement décrites dans son œuvre comme des pratiques discursives assujettissantes, notamment en ceci que la pratique et la volonté thérapeutiques, en particulier lorsqu’elles sont couplées à un discours du développement personnel, sont des outils redoutables pour empêcher la constitution d’un individu en sujet politique.

Ainsi, évoquant l’évolution, en forme de professionnalisation, des foyers pour femmes victimes de violence conjugale depuis les années 1970 aux États-Unis, observe-t-elle qu’en raison d’une séparation désormais stricte entre professionnelles et usagères, et parce qu’une grande part des assistantes sociales envisagent les problèmes qu’elles prennent en charge dans une perspective quasi-psychiatrique, « les pratiques de ces foyers sont devenues plus individualisantes et moins politisées. Les femmes victimes de violence tendent désormais à être considérées comme des usagères. Elles sont de plus en plus psychiatrisées et traitées comme des victimes au moi perturbé. Elles le sont rarement comme des militantes féministes potentielles. » [22]

De même, dans l’enquête qu’elle mène avec Linda Gordon sur les usages américains de l’idée de « dépendance », elle met en évidence l’apparition, à l’époque industrielle, d’un nouveau registre de cette idée, un registre moral et psychologique, qui fait de la dépendance un trait de caractère individuel, proche du manque de volonté ou d’une vulnérabilité émotionnelle excessive, et qui a un corrélat très politique : on ne prête plus attention au rapport de subordination entre employeur et employé [23], qui n’est pas considéré comme « dépendance ».

La méfiance de Nancy Fraser vis-à-vis de toute psychologisation des pratiques et des raisonnements n’est donc pas simplement résistance à la prétention hégémonique du discours psychologique – par exemple sur le sort des femmes, sur les voies possibles de leur émancipation ; elle s’ancre plutôt dans la conviction d’une forme d’incompatibilité entre le psychologique et le politique. Il semble que lorsque le premier apparaît le second ne peut que s’évanouir.

Le socialisme à l’épreuve de l’émancipation

Le lien de Nancy Fraser à Marx, on l’a dit, a longtemps été peu visible dans ses écrits, et lorsqu’il apparaît il reste mesuré. Elle ne partage pas par exemple sa critique du droit bourgeois : « Il est exact, comme les marxistes, et d’autres, l’ont proclamé, que les droits libéraux classiques comme la liberté d’expression, la liberté de réunion, etc., sont des droits formels. Mais ce diagnostic en dit davantage sur le contexte social dans lequel sont pris ces droits aujourd’hui, que sur leurs propriétés intrinsèques. » [24]

Son usage immodéré de l’idée de justice (sociale) est un signe tout aussi sûr de distance vis-à-vis de la constellation marxiste-révolutionnaire, pour peu que l’on veuille se souvenir de cette phrase de Rosa Luxemburg qui parle de la Justice comme de « ce vieux cheval de retour monté depuis des siècles par tous les rénovateurs du monde, privés de plus sûrs moyens de locomotion historique, cette Rossinante déhanchée sur laquelle ont chevauché tant de Don Quichotte de l’histoire à la recherche de la grande réforme mondiale, pour ne rapporter de ces voyages autre chose que quelque mil poché. » [25]

De fait, Nancy Fraser recourt sans difficultés, pour penser le changement social, à l’idée de réforme ; plus exactement, elle utilise l’idée de « réforme non-réformiste », une référence socialiste malgré tout, puisqu’elle l’emprunte à André Gorz. L’expression désigne, chez elle, une « voie médiane entre une stratégie corrective, politiquement réalisable mais substantiellement défectueuse et une stratégie transformative programmatiquement saine mais politiquement impraticable. » [26] Quand elles réussissent, les réformes non-réformistes modifient le terrain sur lequel les luttes postérieures seront menées, étendant par là l’ensemble des options possibles pour une réforme future. Avec le temps leurs effets cumulés peuvent transformer les structures sous-jacentes qui engendrent de l’injustice.

Un autre auteur socialiste peut prétendre à plusieurs occurrences dans son œuvre ; il s’agit de Gramsci, dont elle utilise, surtout dans ses travaux précoces, le concept d’« hégémonie » qu’elle comprend comme « la face discursive du pouvoir ». Elle accorde une attention particulière, dans sa théorie des espaces publics, à ce pouvoir d’établir le « sens commun » ou la « doxa » d’une société, le fond des descriptions évidentes de la réalité sociale. Il s’étend, selon elle, au pouvoir de déterminer les définitions des situations sociales et des besoins sociaux qui font autorité, au pouvoir de définir le champ des désaccords légitimes, et encore au pouvoir d’établir l’ordre du jour politique. L’influence de Gramsci se retrouve en ce sens dans sa réflexion sur les « moyens socio-culturels d’interprétation et de communication » (MIC). Elle entend par là « l’ensemble historiquement et culturellement spécifique de ressources discursives disponibles pour les membres d’un groupe social donné pour s’imposer mutuellement des revendications » [27], et sur cette base elle revient fréquemment sur le handicap discursif des groupes sociaux subordonnés, et leurs difficultés à faire entendre les torts dont ils sont victimes.

Au-delà des références théoriques plus ou moins évidentes, Nancy Fraser hérite surtout du socialisme deux thèmes déjà évoqués, le souci de penser une égalité épaisse, et la place conférée à l’économie politique.

Ce qui est en jeu dans son concept de parité est d’abord une participation égale à la délibération politique, mais parité n’est pas réciprocité des raisons ; Nancy Fraser envisage une symétrie située dans les relations sociales, pas dans le respect partagé d’impératifs discursifs ou dans l’équivalence des justifications données et reçues. Les manquements à l’équité (concept qui a précédé celui de parité dans son œuvre, et qui apparaît notamment dans un article intitulé « Après le revenu familial. Exercice de réflexion postindustrielle », qui date de 1994) ont pour nom pauvreté, exploitation, inégalité, et pas non-respect des règles d’une éthique de la discussion.

Sa théorie de la justice sociale est plus largement bâtie sur la possibilité d’un écart entre irréprochabilité procédurale et injustice substantielle. Et toutes les oppressions qu’elle pense reposent sur des mécanismes qui n’ont rien d’intersubjectif, l’inégalité étant toujours un effet de structures. Un de ses refus théoriques marquants vise ainsi une conception dyadique de la subordination féminine, et l’utilisation du modèle maître/esclave, tel que l’on peut le trouver dans la critique du contrat sexuel par Carole Pateman, par exemple. Pour Nancy Fraser, l’inégalité de genre repose non pas sur ces formes brutes d’assujettissement, mais sur des mécanismes structurels plus impersonnels qui se perpétuent dans des formes culturelles fluides.

Le souci de prendre au sérieux l’économie politique informe son féminisme et explique les couches successives de ses analyses des mécanismes du marché (avec et contre Habermas dans les années 1980, avec et contre Polanyi dans les années 2000, avec et contre Marx dans les années 2010) ; il est encore au cœur de la polémique qui l’a opposée à Judith Butler. [28]

Car la thèse de Butler qui lui pose problème, est que l’ordonnancement hétéronormatif de la sexualité ferait partie par définition de la structure économique, que les préjudices dont sont victimes les homosexuels seraient ancrés dans les relations de production. Or, objecte Nancy Fraser, « cet ordonnancement de la sexualité ne structure ni la division sociale du travail, ni le mode d’exploitation de la force de travail dans la société capitaliste » [29] L’inacceptabilité de la proposition de Butler ne réside pas tant dans son monisme explicatif que dans le fait qu’elle ne rend pas justice à la réalité matérielle du travail, ni à la brutalité des mécanismes de l’exploitation. Reste que Nancy Fraser s’écarte du socialisme orthodoxe en défendant un dualisme causal pour expliquer la structuration hiérarchique de la société capitaliste.

La société capitaliste contemporaine recèle des césures entre l’ordre économique et l’ordre de la parenté, entre la famille et la vie personnelle, entre l’ordre statutaire et la hiérarchie de classe. Le marché n’est pas en mesure de déterminer le statut social des individus, même s’il peut l’affecter. En d’autres termes, elle rejette les distinctions entre infrastructure et superstructure – les torts culturels ne sont pas des reflets, dans la superstructure, de torts économiques. L’oppression de genre, en particulier, est irréductible à une logique de classes (en même temps, tous les axes d’oppression existants sont mixtes, produits de l’économie et de la culture, supposant distribution inique et déni de reconnaissance).

Récemment, Nancy Fraser a étendu le domaine des éléments constitutifs de la société capitaliste qui échappent selon elle au marché. Aux modèles de valeurs culturelles s’est ajoutée une myriade de pratiques et de relations sociales, dont – paradoxe resté invisible à la majorité des marxistes, bien que Marx lui-même en ait eu l’intuition –, dépend le marché. Ainsi la reproduction sociale, entendue comme l’ensemble des activités de production et de maintien des liens sociaux, des significations partagées, et des communautés ; la nature, transformée en simple ressource du capital ; la puissance publique qui établit et garantit les normes constitutives du marché (droit de propriété, expropriation, etc.) doivent être pensées comme autant de domaines qui échappent au marché tout en le rendant possible.

Cela conduit Nancy Fraser à concevoir le capitalisme comme n’étant pas seulement un système économique. N’étant pas non plus une forme de vie éthique (notamment parce que tout dans une société capitaliste n’est pas marchandise), il constitue selon elle un ordre social institutionnalisé.

Mais plus fondamentalement, le point sur lequel Nancy Fraser diverge du socialisme marxiste, tient au sens de l’émancipation. Le problème du marxisme orthodoxe selon elle n’est pas simplement qu’il « manquerait » au tableau qu’il établit de la domination des groupes ou des logiques, que sa focalisation sur les classes laisserait hors champs les femmes, mais aussi les groupes ethnicisés ou racisés, etc, cécité que l’on pourrait simplement corriger en ajoutant ce qui a été omis jusque là. Il n’y a pas de logique de sommation chez Nancy Fraser, son entreprise normative ne se borne pas à ajouter la culture à l’économie.

D’abord, des catégories traditionnellement associées à l’une dans le socialisme passent dans l’autre chez Nancy Fraser, brouillant les frontières et les transformations sociales à laquelle engage chaque logique. On peut ainsi relever que s’il existe bien une catégorie de la réification dans son œuvre, celle-ci ne procède pas d’une généralisation de la forme de la marchandise et de l’échange, elle ne renvoie pas à la transformation du monde en monde de la quantité, à la dégradation des contenus axiologiques de l’existence, à l’assimilation des relations sociales et des expériences vécues à des objets qui peuvent être manipulés, à l’atomisation des collectifs, etc. Elle est mobilisée pour décrire les pathologies qui peuvent émerger au sein de la culture : ce qu’elle nomme « le problème de la réification », c’est la tendance à simplifier considérablement et à figer les identités collectives. Ce « problème » renvoie au faisceau de pratiques et d’institutions qui encouragent le séparatisme, l’intolérance et le chauvinisme, le maintien de structures patriarcales et l’autoritarisme. Il faut de ce fait repenser l’idée-même d’émancipation. Elle ne saurait être simplement désaliénation des rapports sociaux capitalistes.

En outre pour Nancy Fraser, qui s’écarte en ceci encore du projet socialiste orthodoxe, l’émancipation est collective et individuelle dans son processus et dans son telos. Elle est un processus d’autodétermination, assurant « un contrôle par les individus, réflexif, collectif, démocratique, dialogique, des forces qui affectent leurs vies dans leurs dos. » [30]

Enfin, s’éloignant des brumes messianiques qui entourent fréquemment l’idée d’émancipation, Nancy Fraser la définit non pas de manière négative, comme une déprise, une désaliénation, la fin d’une dépossession, mais elle la remplit, elle la remplit de la possibilité d’une pratique clairement définie : la participation. Ni identifiée à la fin de la société de classes, ni lestée d’attentes tenant à la possibilité de la poursuite du bonheur, l’émancipation se confond avec la participation, qui en est à la fois le moyen et le résultat.

par Estelle Ferrarese, le 20 janvier 2015

Pour citer cet article :

Estelle Ferrarese, « Nancy Fraser ou la théorie du « prendre part » », La Vie des idées , 20 janvier 2015. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Nancy-Fraser-ou-la-theorie-du-prendre-part

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À lire aussi


Notes

[1Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005, p. 126.

[2Nancy Fraser, Le féminisme en mouvements. Des années 1960 à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte, 2012, p. 84.

[3« Repenser l’espace public. Une contribution à la critique de la démocratie réellement existante », in Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit., p. 107-144.

[4New Left Review 86, March-April 2014, p. 55–72.

[5Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 12.

[6Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit., p. 127.

[7Karl Marx, Lettre à Ruge, septembre 1843, in Karl Marx, Friedrich Engels, Correspondance. Tome I, 1835-1848, Éditions Sociales, Paris, 1971, p. 300.

[8Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 250.

[9« Théorie de la société et théorie de la justice : Entretien avec Nancy Fraser », in Variations, automne 2003, n°4, pp. 21.

[10Nancy Fraser, Axel Honneth, Redistribution or Recognition ? A Political-Philosophical Exchange, New York, Verso, 2003, p. 208.

[11Nancy Fraser, « Identity, Exclusion and Critique. A Response to Four Critics », European Journal of Political Theory, 6 (3), 2007, p. 323.

[12Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 187.

[13Nancy Fraser, « Identity, Exclusion and Critique. A Response to Four Critics », art. cit., p. 319.

[14 Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 262. C’est nous qui soulignons.

[15Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit., p. 124-125.

[16Traduit en français dans Le féminisme en mouvements, p. 257-280.

[17Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 83.

[18Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit., p. 129-130.

[19Ibid., p. 50.

[20John Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995, p. 245.

[21Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit., pp. 50-51.

[22Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 101.

[23Nancy Fraser, Linda Gordon, « Une généalogie de la ‘dépendance’. Enquête sur un concept-clé de l’État providence américain », in Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 113-152.

[24Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 112.

[25Rosa Luxemburg, « Réforme sociale ou Révolution » [1898], in Œuvres I : Réforme ou Révolution ? Grève de masse, parti et syndicats, Paris, Editions Maspéro, 1969.

[26Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit., p. 97.

[27Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 79.

[28Aussi bien le texte de Judith Butler, « Merely Cultural », que la réponse de Nancy Fraser, « Heterosexism, Misrecognition, and Capitalism : A Response to Judith Butler » sont parus dans le numéro 52/53 de Social Text (Vol. 15, Fall/Winter 1997).

[29 Le féminisme en mouvements, op. cit., p. 247.

[30« Théorie de la société et théorie de la justice : entretien avec Nancy Fraser », art. cit. C’est nous qui soulignons.

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