Conditions de travail difficiles, perte de sens, manque de reconnaissance, accidents et maladies professionnelles, les maux du travail sont nombreux. Fondé sur les acquis des sciences du travail, le
recueil de propositions « Travailler Mieux » vise à répertorier les mesures susceptibles d’améliorer la qualité du travail en France.
Le problème
La massification de l’enseignement supérieur a conduit à une élévation du niveau général d’éducation. Cependant on observe une persistance des NEETS (Not in Education, Employment or Training), c’est-à-dire des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (Gazier, 2023). Un diplôme de l’enseignement supérieur réduit très fortement les risques de chômage et offre des niveaux moyens de rémunération plus importants (Fack et Huillery, 2022 ; Cereq, 2023). Or, les conditions d’accès à l’enseignement supérieur pour les moins favorisés se sont dégradées. Leur pouvoir d’achat a baissé, en raison d’une revalorisation insuffisante des bourses (Lutzky, 2023 ; Fourré, 2024) alors qu’une partie des aides au logement étudiant a été absorbée par des bailleurs privés (Grislain-Letrémy et Trevien, 2022, 2023).
L’apprentissage en revanche s’est largement développé (Coquet, 2023), ce qui traduit un dispositif d’aide public très important, mais aussi un besoin de revenu sécurisé pour bon nombre d’étudiant.e.s qui ne trouvent pas dans les dispositifs actuels un soutien suffisant pour financer leurs études. Cependant, le dispositif actuel bénéficie plus particulièrement aux étudiants dans le supérieur (+78% entre 2020 et 2022 - Thao Khamsing, 2024) où les enfants des classes supérieures sont sur-représentés. Pour les ménages pauvres et les classes moyennes sous pression (Courtioux, 2023), il n’est pas facile de soutenir leurs enfants durant les études, alors que le travail étudiant, notamment quand il est supérieur à 16 heures hebdomadaires, compromet fortement la réussite des études (Body et al., 2017).
La proposition :
Mettre en place une garantie de revenu pour les étudiant.e.s décohabitant.e.s qui rassemble les différents mécanismes d’aide durant les études. Le niveau de revenu garanti correspondrait au seuil de pauvreté, soit environ 1 200 euros par mois (Insee, 2024).
La garantie serait composée d’une bourse et d’un prêt contingent. La part de bourse dans la garantie tiendrait compte des difficultés des étudiant.e.s. Le prêt étudiant serait contingent au revenu, c’est-à-dire qu’il serait remboursé en fonction des revenus effectivement obtenus durant la carrière une fois les études terminées (comme en Allemagne ou en Suède).
Comment ça marche ?
Pour avoir accès à cette garantie de revenu, il faudrait en faire la demande au CNOUS (Centre national de œuvres universitaires et scolaires), comme actuellement pour une demande de bourse. Les revenus de la famille détermineraient les conditions de cette garantie. Pour les étudiant.e.s les plus défavorisé.e.s (actuellement échelon 7, soit 8,5% des boursiers selon les évaluations du ministère – Fourré 2023), 100% de cette garantie serait composé d’une bourse. La part de la bourse dans la garantie serait décroissante avec les revenus de la famille et pourrait par exemple atteindre 23% de la garantie pour le niveau de l’actuel échelon 0bis (dont bénéficient 32,1% des boursiers – Fourré 2023).
Pour activer la partie prêt de sa garantie, l’étudiant.e en ferait la demande au CNOUS qui verserait l’argent sur son compte. Le remboursement du prêt commencerait une fois les études terminées. Les annuités ne seraient effectivement payées que si l’individu perçoit un revenu et que ce revenu est supérieur à un certain seuil.
Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?
Les recherches disponibles montrent qu’en France, il est difficile de concilier études supérieures et emploi (Body et al., 2017 ; Béduwé et al., 2018 ; Berthaud et Giret, 2022). De plus, plusieurs travaux montrent que les aides ont des effets positifs sur l’inscription et sur la poursuite d’études, conduisant au bout du compte à des gains économiques et de recettes fiscales supérieures (Fack et Grenet, 2015). Des analyses en comparaison internationale sur les prêts à remboursement contingent ont montré que ces dispositifs avaient été introduits dans plusieurs pays pour couvrir les frais de vie et/ou en complément de bourses (Charles, 2012 ; Courtioux, 2015).
Comment mettre en œuvre ?
Mettre en œuvre cette proposition nécessiterait de faire évoluer le système actuel des échelons de bourses étudiantes en adoptant un système décroissant du revenu familial plus lisible et juste qu’un système d’échelons, pouvant être complété par une partie de prêt d’État. Il s’agirait également d’élargir les fonctions du CNOUS. Le remboursement des prêts contingent nécessiterait de s’appuyer sur l’administration fiscale et la collecte de l’impôt sur le revenu.
Pour citer cet article :
Pierre Courtioux & Malo Mofakhami, « Mettre en place une Garantie de revenu pour les études. Proposition 7 »,
La Vie des idées
, 20 novembre 2024.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://booksandideas.net/Mettre-en-place-une-Garantie-de-revenu-pour-les-etudes
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