À propos de : Jean Ping, Éclipse sur l’Afrique. Fallait-il tuer Kadhafi ?, Paris, Michalon, 2014, 220 p., 17 €.
« Peut-on qualifier d’opération humanitaire et de guerre juste un tel déluge de bombes et de haine déversé sur de paisibles localités ? Fallait-il engager une guerre dite préemptive de cette ampleur avec des navires nucléaires pour arrêter un massacre de civils, certes innocents, par un autre massacre, encore plus grand, de civils tout aussi innocents, et tout ça pour se débarrasser d’un seul homme ? Doit-on au nom de l’humanité commettre des crimes contre l’humanité ? Faut-il ajouter sans discernement des bombes aux bombes, des atrocités aux atrocités, des crimes de guerre aux crimes de guerre ? » (p. 102)
Ces mots, que Jean Ping met dans la bouche d’« un Africain » dialoguant avec « un Européen », résument bien à la fois l’intérêt et les limites d’Éclipse sur l’Afrique. Fallait-il tuer Kadhafi ? L’intérêt, parce que certaines de ces questions sont profondes : elles alimentent la théorie de l’intervention humanitaire – au sens d’intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires – depuis des siècles, voire des millénaires [1]. L’auteur est un poids lourd de la politique internationale : ancien ministre gabonais des Affaires étrangères (1999-2008), puis président de la Commission de l’Union africaine (2008-2013), il est un témoin important de l’intervention militaire en Libye qui a conduit à la chute puis à la mort de Kadhafi en 2011. Son livre a donc a priori une valeur documentaire. Il a toutefois plusieurs limites.
Premièrement, sur la méthode : à la manière des dialogues philosophiques du XVIIIe siècle, il met souvent en scène des personnages, « un Africain » et « un Européen », présentés comme les protagonistes d’une discussion réelle à laquelle l’auteur a assisté mais qui, parce qu’ils sont anonymes, pourraient tout aussi bien n’avoir jamais existé. À plusieurs reprises, on peut avoir l’impression de lire le Supplément au voyage de Bougainville (Diderot, 1772), où le Tahitien se révèle plus sage, plus instruit, plus philosophe que l’Européen infatué de sa grandeur et de son bon droit de colonisateur. Ce ne serait pas gênant si l’ouvrage était un conte moral et non un essai politique ambitionnant de « restituer la vérité historique » [2], « une vérité trop souvent ignorée, voire occultée, sinon déformée » (p. 12). Révéler la vérité sur la mort de Kadhafi, surtout si elle va à l’encontre de la version officielle, doit reposer sur des preuves et de la documentation. Or, c’est précisément ce qui manque à cet ouvrage qui ne donne pas les sources de la plupart de ses citations.
Deuxièmement, sur le fond : la question (fallait-il tuer Kadhafi ?) est passionnante mais, d’une part, elle semble secondaire pour l’auteur. La première partie de ce livre à forte coloration autobiographique est exclusivement consacrée à J. Ping lui-même, à ses relations avec l’Union africaine (UA), avec Kadhafi, et aux relations de Kadhafi avec l’UA. Entre autres « intrigues, polémiques stériles et dangereuses divisions puériles » (p. 82), se trouve un long portrait de Kadhafi. Même si l’auteur est par ailleurs très clair sur le fait que le dirigeant libyen n’était pas un enfant de chœur et qu’ils n’avaient aucune proximité (« un homme aussi odieux qui me voulait tant de mal », p. 149), ce portrait exprime aussi une certaine fascination pour « cet homme animé d’une volonté inflexible [qui] appartenait à la race en voie d’extinction des ‘grandes figures de l’Histoire’ » (p. 26), un personnage « hors norme et hors temps » (p. 27) dont la mort donne lieu à un éloge funèbre : « Kadhafi l’Africain, aussi antipathique fût-il, est mort la tête haute comme un lion (du Sahel) en refusant de vivre à genoux comme un mouton » (p. 148).
D’autre part, lorsque le livre rentre dans le vif du sujet, à partir de la deuxième partie qui porte sur la chute du dictateur, le propos devient complotiste : la thèse de J. Ping est que les Occidentaux, Européens en tête, voulaient tuer Kadhafi et qu’ils ont fait débuter leur opération le jour même où l’UA, qui avait réussi à convaincre le Guide libyen de partir, devait mettre en place son plan, précisément pour empêcher cette résolution pacifique de la crise. Comme nous le verrons, cette thèse est douteuse. Elle repose en outre sur un anti-occidentalisme primaire et un arrière-fond pacifiste qui rendent le livre trop excessif pour être juste. Il n’a d’ailleurs pas suscité d’attention particulière dans la presse, au-delà du Monde diplomatique et de L’Humanité qui ont ouvert leurs colonnes à l’auteur, ni d’influence dans les cercles politiques.
Pourquoi dès lors lui accorder de l’intérêt ? Parce que son discours est typique : c’est celui de nombreux pays africains, mais aussi des grands émergents (BRICS) [3], de la Russie en particulier, et d’une part non négligeable d’opinions occidentales. Ce n’est pas tant pour lui-même que cet ouvrage présente un intérêt que pour ce dont il est le symptôme. Il est exemplaire de la critique postcolonialiste de l’intervention en Libye, dont les Syriens ont fait les frais puisque le blocage du Conseil de sécurité dans cette autre situation dramatique est largement justifié en référence au précédent libyen. J. Ping se réjouit d’ailleurs qu’en bloquant toute action en Syrie la Chine et la Russie promeuvent « un certain retour à la souveraineté des États » et se présentent « comme le dernier rempart du droit international » (p. 19). Au-delà même des conflits présents, ce livre est exemplaire de la critique la plus répandue de l’intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires, et de toute guerre dite juste. Voilà pourquoi il est important d’en parler, et d’y répondre.
Un brûlot anti-occidental
S’appuyant sans cesse sur l’histoire coloniale – « n’oubliez pas que la colonisation, c’est eux, le concept de ‘race supérieure’ pour justifier l’esclavage et la traite négrière, c’est eux. Le Vietnam et l’Algérie, c’est encore eux » (p. 145) –, l’auteur renverse l’essentialisme du discours colonial pour caricaturer les Européens d’aujourd’hui comme des sauvages, « des indécrottables va-t-en-guerre qui, après s’être tapé dessus pendant des siècles », s’entendent désormais « pour se jeter à bras raccourcis sur nous et assouvir ainsi leurs traditionnelles pulsions guerrières » (p. 104). Il décrit une « Europe qu’anime constamment l’esprit de violence, de punition et de vengeance [qui] ne semble pas avoir beaucoup évolué (…) depuis Jules César et Vercingétorix » (p. 156). Et surtout il attribue aux Occidentaux tous les maux du continent africain, du chaos somalien à la tragédie des Grands lacs « avec à la clé 6 millions de morts en RDC et un génocide au Rwanda » (p. 149), sans explication.
Les Africains sont totalement déresponsabilisés, et même angélisés. Ils sont présentés comme n’utilisant la force qu’en dernier recours (p. 10) et respectant scrupuleusement le principe de souveraineté (p. 16). On supposera donc que lorsque J. Ping rappelle qu’à peine élu à la tête de la Commission de l’UA, il était empêtré dans « une série de crises post-électorales dramatiques (au Kenya et au Zimbabwe), de conflits armés interethniques ou interclaniques (en Somalie et au Soudan) et de coups d’État successifs », sans compter les complications que causait Kadhafi en prenant « quasi systématiquement le contre-pied des décisions de la Commission » (p. 186), c’était à cause de l’Occident.
Reproduire ainsi comme le fait l’auteur, plutôt que critiquer, la dichotomie simpliste entre Occidentaux et Africains, ne permet pas de comprendre la plupart des violences commises sur le continent, des milices Janjawid massacrant des Darfouri avec l’appui de l’armée soudanaise jusqu’aux tueries de Boko Haram, en passant par le totalitarisme érythréen, les exécutions de la Seleka en RCA, les attentats des Chabab, etc. J. Ping critique à juste titre le scandaleux discours de Dakar du président Sarkozy sur « l’homme africain [qui] n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Mais lui-même ne le fait pas sortir de l’histoire coloniale, et ne fait pas entrer l’homme européen dans l’histoire postcoloniale.
Plus fondamentalement, J. Ping se trompe sur le poids relatif de l’Occident, et en particulier de l’Europe, dans le monde d’aujourd’hui. Il écrit que les crises africaines de 2011 n’ont été « qu’un bon prétexte au retour à la tentation impériale, au bonapartisme et à l’option militariste, de plus en plus privilégiés par les anciennes puissances tutélaires européennes, redevenues Maîtres du monde » (p. 10). Et qu’en 2011 « la gouvernance mondiale, devenue de facto unipolaire et tombée des mains du P5, du G8 et du G20 à celles du seul P3 transformé en G3, apparaissait alors absolue, sans limites et sans contrepoids » (p. 157). Il croit donc à l’occidentalisation du monde, et s’en plaint, alors que le consensus dans la discipline des relations internationales est plutôt que le monde se désoccidentalise, comme il le reconnaît lui-même : « dans un monde en rapide recomposition, nous vivons la fin de cinq siècles de domination absolue de l’Occident » (p. 21).
Nous ne sommes plus dans le moment unipolaire, celui de l’hyperpuissance américaine (et non européenne), qui prend fin avec les attentats du 11 septembre 2001, et les difficultés rencontrées par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Nous sommes dans une période de transition qui se caractérise par une diffusion de la puissance, c’est-à-dire de nombreux « acteurs possédant et exerçant diverses formes de pouvoir » [4] : quelques puissances étatiques globales (États-Unis, Chine, UE, Russie, Japon – au sein desquelles les États-Unis dominent toujours mais plus de façon hégémonique), des puissances étatiques régionales, des organisations globales et régionales, des groupes armés non-étatiques, des ONG globales et locales, des acteurs religieux, des médias globaux et des entreprises multinationales.
Dans ce monde complexe et plus divers qu’avant, l’Occident perd du terrain, en particulier l’Europe, qui n’est pas une puissance militaire. Par ailleurs, l’interventionnisme n’est plus proprement occidental, comme en témoignent la Russie, de la Géorgie à l’Ukraine, et les pays arabes, de la Libye à la coalition contre Daech, sans compter les pays africains eux-mêmes.
Un arrière-fond pacifiste
L’une des conséquences de l’anti-occidentalisme de ce livre est son anti-interventionnisme. Les Occidentaux-Attila qui font sans cesse la guerre ne laissent derrière eux qu’une traînée de sang. « Souvenez-vous des conséquences dramatiques de toutes les interventions en Afrique : (…) partout où ils sont passés, c’est toujours la désolation, l’anarchie, la détresse, la mort et la haine » (p. 159). Sans nier que certaines interventions – pas seulement en Afrique d’ailleurs – ont été effectivement désastreuses, à commencer par l’invasion américaine de l’Irak en 2003 qui est en partie à l’origine de Daech [5], il ne faut pas oublier ce que d’autres interventions ont permis d’éviter (un État islamiste au Mali, un génocide en RCA, un califat de Boko Haram à cheval sur au moins quatre pays, etc.) et que, si les interventions ont un coût, les non-interventions aussi (plus de 200 000 morts en Syrie).
La guerre est donc parfois un peu plus compliquée. Néanmoins, insiste J. Ping, « peut-on qualifier d’opération humanitaire et de guerre juste un tel déluge de bombes et de haine déversé sur de paisibles localités ? » (p. 102). D’abord, les bombes n’étaient pas larguées sur de « paisibles localités » mais sur des cibles militaires : cela ne veut pas dire qu’elles ne faisaient pas des victimes civiles, toujours trop nombreuses, mais il ne faut pas confondre les bombardements intentionnels et accidentels de civils [6]. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU « a établi que l’OTAN n’avait pas délibérément ciblé les civils en Libye », ce qui n’est pas le cas de Kadhafi [7].
Ensuite, refuser de qualifier un bombardement ou une guerre d’humanitaire ou de juste présume qu’il est injuste en soi d’utiliser la force armée, parce que cela tue des gens. Le problème de cet arrière-fond pacifiste est qu’il égalise toutes les guerres. Je fais à J. Ping la même réponse qu’à Grégoire Chamayou qui, au sujet des drones, demandait « comment peut-on qualifier d’ "humanitaire" des procédés destinés à anéantir des vies humaines ? ». De la même manière que les armes peuvent être plus ou moins acceptables du point de vue humanitaire car plus ou moins discriminantes, sans quoi cela revient à égaliser une dague et une bombe nucléaire, les guerres peuvent être plus ou moins justes, en fonction de leur degré de conformité à une série de critères (autorité légitime, cause juste, intention droite, dernier recours, proportionnalité), et elles peuvent être conduites d’une manière plus ou moins humanitaire, en fonction de leur respect du droit international humanitaire qui régule les méthodes et moyens employés, sans quoi cela revient à égaliser toutes les guerres, et mettre sur le même pied l’intervention en Libye et les guerres de conquête hitlériennes, par exemple.
« Doit-on au nom de l’humanité commettre des crimes contre l’humanité ? Faut-il ajouter sans discernement des bombes aux bombes, des atrocités aux atrocités, des crimes de guerre aux crimes de guerre ? » demande encore J. Ping (p. 102). Outre que les intervenants en Libye n’ont pas commis de crime contre l’humanité – une expression qui a une définition précise (art. 7 du Statut de Rome) –, cette question est sophistique. Elle présume que répondre à la violence par la violence est toujours pire parce que les deux s’additionnent, alors que les situations dont on parle sont précisément celles dans lesquelles la violence de l’intervenant vise à mettre fin à celle de l’auteur des crimes initiaux.
« Ajouter des bombes aux bombes » n’aboutit pas nécessairement à davantage de bombes, et de victimes, que si l’on n’avait rien fait, donc rien ajouté : nos bombes se sont certes ajoutées mais elles ont aussi arrêté celles de Kadhafi en Libye. Nos bombes ne se sont pas ajoutées, et donc n’ont pas arrêté celles de Bachar el-Assad en Syrie. Au bout du compte, la non-intervention en Syrie a déjà fait beaucoup plus de victimes que l’intervention en Libye. Il y a d’autres exemples : J. Ping citait aussi le Yémen comme un cas heureux de non-intervention ayant permis de « préserver autant que faire se peut la paix et trouver une solution qui ne plonge pas le pays dans le chaos » [8]. C’était trois semaines avant le début de la guerre civile yéménite.
L’UA était-elle sur le point de trouver une issue pacifique à la crise ?
J. Ping explique que, contrairement aux Occidentaux va-t-en-guerre, l’UA a eu la sagesse de donner une chance à la paix avec sa « feuille de route » adoptée dès le 10 mars 2011, « fixant les termes d’une transition et d’une transformation systémique qui visait à la fois à instaurer la démocratie, à assurer les droits de l’Homme et favoriser une sortie pacifique de crise » – transformer la Libye en Suisse d’Afrique du Nord, en somme, un objectif que l’auteur estime « réaliste et réalisable » (p. 109).
C’est pour le mettre en œuvre qu’une délégation de l’UA devait se rendre à Tripoli le 20 mars et à Benghazi le 21. Mais « les bombardements de l’OTAN débutèrent précisément et comme par hasard ce 20 mars » (p. 110). J. Ping accuse l’Occident de l’avoir « sournoisement empêché » de mettre en œuvre son plan (p. 114). N’écoutant que son courage, la délégation entreprend malgré tout sa mission dans un pays désormais en guerre, les 10-11 avril et, selon J. Ping, réussit à « persuader Kadhafi de renoncer de lui-même à ce qui lui restait encore de pouvoir » (p. 114) : « Kadhafi avait fini par accepter [de se retirer] » (p. 116).
On peut se demander ce que vaut une promesse de Kadhafi, que l’auteur lui-même trouve tellement « imprévisible » qu’il y consacre tout un chapitre (p. 39-54). Mais surtout, on peut douter de la véracité de cette affirmation, tant on imagine mal l’indomptable Guide libyen capituler. Un mois plus tôt à la télévision, n’avait-il pas déclaré qu’il ne se retirerait pas et qu’il était prêt « à mourir en martyr » ?
Ce qui s’est passé lors de cette visite est que Kadhafi a certes donné son accord de principe à la feuille de route, mais celle-ci n’a jamais mentionné son départ. Ses éléments étaient les suivants : « cessation immédiate de toutes les hostilités ; coopération des autorités libyennes concernées pour faciliter l’acheminement diligent de l’aide humanitaire aux populations dans le besoin ; protection des ressortissants étrangers, y compris les travailleurs migrants africains vivant en Libye ; adoption et mise en œuvre des réformes politiques nécessaires à l’élimination des causes de la crise actuelle ». Comme l’expliquait le représentant de l’UA au Conseil de sécurité, « rien dans cette feuille de route ne saurait légitimement être interprété comme relevant d’une logique de soutien à une partie donnée » [9]. C’est précisément la raison pour laquelle l’autre partie, le Conseil national de transition (CNT), l’a rejetée : parce qu’eux faisaient du départ de Kadhafi une condition sine qua non. Le fait que Kadhafi, contrairement au CNT, ait accepté la proposition de l’UA prouve que celle-ci n’impliquait pas son retrait.
Des sources diplomatiques françaises confirment que Kadhafi avait refusé de partir ; c’est également ce que le président sénégalais Abdoulaye Wade nous disait à l’époque. La vérité est que nos gouvernements auraient été ravis de lui offrir une porte de sortie, qu’ils ont multiplié les tentatives en ce sens mais que le dictateur libyen ne s’y est jamais prêté [10].
Contrairement à une autre idée reçue, l’intervention militaire ne s’est pas faite en premier mais en dernier recours, en laissant 28 jours à Kadhafi, depuis la première manifestation du 17 février, pour faire preuve de bonne volonté. La résolution 1973 l’autorisant (17 mars 2011) n’a été votée que parce qu’aucune des mesures préalables – dont les pressions diplomatiques et la résolution 1970 (26 février 2011) prévoyant un embargo sur les armes, un gel des avoirs, des interdictions de voyager et la saisine de la Cour pénale internationale – n’a suffi à dissuader le régime de poursuivre ses exactions. Le Liban, par exemple, explique son vote de la résolution 1970 par le fait que les autorités libyennes n’ont pas répondu à l’appel du Conseil de la Ligue des États arabes (du 22 février) de mettre en place un dialogue national [11].
C’est l’entêtement de Kadhafi, l’absence de confiance dans sa bonne foi en même temps que les tueries quotidiennes qui ont hâté l’intervention. Comme l’explique Sandra Szurek, « laisser plus de temps aux solutions politiques et pacifiques, sans garanties de la sauvegarde des populations civiles, n’aurait probablement rien changé, comme le montre aujourd’hui le cas de la Syrie » [12].
L’objectif de l’intervention était-il de tuer Kadhafi ?
J. Ping en est persuadé. Sa mort « était bel et bien commanditée, planifiée et programmée » (p. 148). Nicolas Sarkozy lui-même a donné « l’ordre (…) de [le] refroidir » (p. 139). Cet axiome est posé, répété, mais jamais démontré. L’auteur ne dit pas quelles auraient été les motivations d’un meurtre prémédité. Pourquoi assassiner Kadhafi ?
Convaincu qu’il s’agit d’un assassinat ciblé, J. Ping le compare à « la politique de la canonnière et celle de l’assassinat politique » conduite par les anciennes puissances coloniales au lendemain des indépendances africaines (p. 142) ; à la tentative américaine de 1986, notant au passage que la France, qui avait refusé à l’administration Reagan le survol de son espace aérien, était contre (p. 138) ; « aux méthodes honnies pratiquées autrefois en Amérique du Sud par les escadrons de la mort » (p. 157) ; et à l’exécution « dans des circonstances relativement semblables » de Saddam Hussein, qui avait choqué le président Chirac (p. 158). Cette dernière comparaison est particulièrement contestable, les circonstances « semblables » ne l’étant pas (Saddam Hussein a été exécuté à l’issue d’un procès par le Tribunal spécial irakien sous occupation américaine, Kadhafi a été lynché par des combattants locaux). J. Ping fait d’ailleurs comme si c’étaient les Occidentaux eux-mêmes qui avaient tué Kadhafi et exposé « son corps dénudé dans un abattoir pour viande » (p. 159) alors qu’il a été tué par les rebelles et ce sont eux, les Libyens, qui ont ensuite exhibé sa dépouille.
Si le but des intervenants était seulement de tuer Kadhafi et non de protéger la population, il n’aurait pas été nécessaire de mener une opération militaire extrêmement coûteuse pour déverser un « déluge de bombes » sur son armée : il aurait été suffisant d’envoyer quelques missiles à l’endroit où il se trouvait, précisément comme les Américains ont tenté de le faire vingt-cinq ans plus tôt, et comme ils le font actuellement dans le cadre de la lutte antiterroriste avec leur campagne d’éliminations ciblées de leaders d’Al-Qaïda et ses « forces associées », qui implique notamment des frappes de drones au Pakistan, au Yémen et en Somalie.
Quelles étaient donc les causes de l’intervention ?
Toutes les interventions militaires justifiées par des raisons humanitaires ont été, sont et seront également motivées par des intérêts nationaux, pour la simple et bonne raison que les États ne sont pas – et même ne doivent pas – être désintéressés puisque leur raison d’être est de défendre les intérêts de leurs citoyens. L’exigence de désintéressement de l’État intervenant est illusoire. L’intervention en Libye ne fait pas exception : elle était aussi motivée par des intérêts nationaux, politiques, voire personnels. On peut les critiquer, mais cela ne fait pas disparaître comme par magie les autres raisons, humanitaires, qu’il y avait d’intervenir.
Ce sont ces raisons humanitaires que J. Ping conteste. Pas un seul instant il n’imagine que les causes de l’intervention puissent être les exactions commises et promises par Kadhafi. Tout au plus lui reconnaît-il d’avoir fait preuve d’« effronterie » : il « jouait au fanfaron », pas de quoi « réagir avec férocité » (p. 101 et 140) ! Quelles fanfaronnades ?
Kadhafi a donné l’ordre à son aviation de bombarder sa propre population, qui manifestait dans les rues. Des centaines de civils ont ainsi été tués le 21 février 2011. Cela a choqué jusqu’aux pilotes qui ont préféré déserter ou écraser leur appareil après s’être éjecté. J. Ping affirme que Kadhafi n’aurait fait que 300 victimes (p. 140). C’est l’estimation basse. Le 22, la Coalition internationale contre les criminels de guerre (ICAWC) parle de 519 morts [13] ; les experts onusiens des droits de l’homme dénoncent de possibles crimes contre l’humanité et appellent à « arrêter le massacre » [14] ; l’Organisation de la Conférence Islamique parle de « catastrophe humanitaire » [15] ; la Ligue arabe suspend les activités de la Libye et, le lendemain, l’UA dénonce un usage disproportionné de la force. Le 25, le Secrétaire général des Nations unies lui-même déclare que « plus de 1 000 personnes ont été tuées » [16]. Le jour suivant, la résolution 1970 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité, estime que « les attaques systématiques et généralisées (…) commises (…) contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité » [17]. Dans son rapport, le Procureur de la Cour pénale internationale confirmera « que des attaques généralisées et systématiques contre la population civile, y compris des meurtres et des actes de persécution, qui constituent des crimes contre l’humanité », ont été perpétrées dès le 17 février [18]. Il démontrera également la préméditation du régime qui, suite aux événements en Égypte et en Tunisie, avait recruté des mercenaires dès janvier.
Il y avait aussi les victimes à venir : ce sont surtout elles qui ont déclenché la réaction de la communauté internationale. Jamais depuis le Rwanda l’intention de commettre des crimes contre l’humanité n’était énoncée aussi clairement que lorsque Kadhafi annonce publiquement sa volonté de « nettoyer la Libye maison par maison » : « des officiers ont été déployés dans toutes les tribus et régions pour purifier toutes les décisions de ces cafards », « tout Libyen qui prendra les armes contre la Libye sera exécuté ». Le jour même de la résolution du Conseil de sécurité, le dictateur libyen appelle ses supporters à « nettoyer la ville de Benghazi ». Kadhafi a commis « l’erreur fatale d’annoncer à l’avance à toute la planète un massacre de ses propres compatriotes » [19].
L’intervention était-elle occidentale et unilatérale ?
J. Ping fait sienne la charge de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki contre « les puissances occidentales [qui] se sont arrogées de manière unilatérale et éhontée le droit de décider de l’avenir du pays » (p. 12 et 106). Une intervention est dite unilatérale lorsqu’elle se fait sans l’autorisation du Conseil de sécurité. Or, celle-ci était autorisée, et pas seulement par des Occidentaux : la Chine et la Russie ont laissé faire, et les trois membres africains du Conseil de sécurité ont voté pour, en dépit du communiqué de l’UA qui, seulement sept jours plus tôt, rejetait « toute intervention militaire étrangère, quelle qu’en soit la forme ». Sans ces trois voix africaines, la résolution aurait pu être rejetée puisqu’elle n’aurait pas réuni les neuf votes nécessaires. C’est d’autant plus rageant pour les opposants que parmi les membres du Conseil de sécurité se trouvaient l’Afrique du Sud, « le pays le plus puissant et le plus respecté d’Afrique » (p. 122), mais aussi le Gabon, ce qui n’est sans doute pas étranger à la hargne de l’auteur.
J. Ping n’a pas supporté que son propre État défie son autorité de président de la Commission de l’UA en soutenant la politique française en Côte d’Ivoire et en Libye. Ce n’est pas un hasard si l’annonce de son livre coïncide avec celle de sa rupture avec le président Ali Bongo (le 1er février 2014 lors d’un séminaire à Libreville) : il a plusieurs raisons de lui en vouloir, et la Libye n’est pas la moindre.
J. Ping est bien obligé de reconnaître le consensus autour de la décision d’intervenir, puisque c’est un fait : « les Africains et les Arabes avaient eux-mêmes tous voté la résolution 1973 » (p. 145). Mais il les décrit comme des traîtres. Si la Ligue arabe était d’accord, par exemple, c’est parce qu’elle s’est « alignée sur la position occidentale » en « jouant les Brutus » (p. 118). Il sait pourtant que la raison est simple : « Kadhafi s’était depuis fort longtemps déjà mis tout le monde arabe à dos » (p. 117) [20].
L’intervention n’était donc pas unilatérale : autorisée par le Conseil de sécurité, soutenue par un grand nombre de pays africains et arabes, elle était par définition multilatérale et même très consensuelle. Quant à la coalition, elle n’était pas seulement occidentale. J. Ping parle d’une « coalition regroupant 28 puissances occidentales » (p. 139-140), alors qu’elle ne comptait que 18 États, dont quatre non-occidentaux (Turquie, Jordanie, Qatar et Émirats arabes unis).
L’interprétation de la résolution 1973
Si J. Ping peut maintenir qu’en dépit de l’autorisation du Conseil de sécurité l’intervention était bien unilatérale, voire illégale, c’est parce qu’il estime que la résolution a été abusée. Cette thèse, selon laquelle le mandat initial de la protection des civils a été détourné pour faire un changement de régime, est aujourd’hui très populaire, notamment dans les BRICS, en particulier en Russie. J. Ping cite d’ailleurs le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov affirmant que la résolution n’autorisait qu’une zone d’exclusion aérienne. On dit également que le mandat ne concernait que Benghazi et excluait toute troupe au sol.
Ce n’est pas exact. Que dit le texte de la résolution 1973 exactement ? Avant même de parler de la zone d’exclusion aérienne (§6-12), il autorise les intervenants « à prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et les zones civiles (…) tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère » (§4). Il s’agit donc d’une autorisation générale, dont la zone d’exclusion aérienne n’est que l’une de ces mesures et non la seule, pour protéger les populations où qu’elles se trouvent, et qui n’exclut pas toute troupe au sol mais seulement une force d’occupation (pour éviter une dérive à l’irakienne), ce que les forces spéciales ne sont pas.
Prétendre comme le fait J. Ping que « même les Russes, les Chinois et bien d’autres ont été eux aussi roulés dans la farine » (p. 123) est prendre ces États, qui ne sont pourtant pas nés de la dernière pluie, pour des naïfs [21]. D’une part, ils savaient qu’en langage onusien (que S. Lavrov, qui a été dix ans ambassadeur de Russie à l’ONU, maîtrise à la perfection) autoriser à prendre « toutes les mesures nécessaires » était autoriser l’usage de la force [22] : c’est précisément pour cette raison que certains États se sont abstenus. D’autre part, ils savaient que cette résolution pouvait mener à la chute de Kadhafi. D’abord, le langage était ambigu : lorsque les résolutions 1970 et 1973 exigent toutes les deux expressément que soient satisfaites « les revendications légitimes de la population », qui peut prétendre qu’il aurait été possible de les satisfaire en maintenant Kadhafi au pouvoir ? Ensuite, la demande avait déjà été formulée (Kadhafi doit partir « maintenant » disait Obama le 4 mars, tandis que la France reconnaissait le CNT comme le « représentant légitime du peuple libyen » le 10) et, le jour du vote, elle a été répétée clairement. Lorsque le Royaume-Uni déclare que « l’objectif principal de la résolution est clair : mettre fin à la violence, protéger les civils et permettre au peuple libyen de définir son propre avenir, libéré de la tyrannie du régime de Kadhafi », lorsque l’Allemagne ajoute que « Kadhafi doit abandonner le pouvoir sur le champ. [...] Notre objectif est de promouvoir la transformation politique de la Libye » [23], et qu’en dépit de ces déclarations explicites, les Russes et les Chinois décident de ne pas opposer leur veto, c’est qu’ils le font en toute connaissance de cause.
La surprise russe est donc simulée. Si Moscou n’a pas bloqué la résolution, c’est à la fois pour ne pas sembler à contre-courant du printemps arabe et parce qu’elle n’avait pas grand-chose à y perdre. Au contraire, elle pourra utiliser le précédent libyen pour justifier son intransigeance sur les dossiers syriens et ukrainiens, qui lui sont beaucoup plus importants sur le plan stratégique.
Ceux qui pensent toujours que l’OTAN a débordé le mandat de la résolution 1973 en Libye doivent répondre à la question suivante : était-il possible de « protéger les civils » sans renverser Kadhafi, lorsqu’il était la principale menace qui pesait sur eux ? Il faut ici distinguer clairement les objectifs des moyens : le changement de régime n’était certainement pas autorisé comme un objectif dans la résolution 1973, mais rien ne permet de dire qu’elle l’excluait comme moyen, c’est-à-dire comme l’une des « mesures nécessaires » pour protéger les civils. Les bombardements avaient pour but d’affaiblir le régime puisque c’est lui qui menaçait les civils. Ce n’est pas parce que cet affaiblissement a précipité sa chute que l’on peut en déduire que l’objectif initial était de le renverser [24].
En comparant à plusieurs reprises l’intervention légale en Libye de 2011 et l’agression illégale de l’Irak en 2003, en reprochant à l’Europe d’être contaminée par « le syndrome irakien » (p. 136), J. Ping ne fait pas cette distinction essentielle entre deux types d’interventions qui sont pourtant différenciées depuis la fin du XIXe siècle : l’intervention prodémocratique qui vise à changer la forme du gouvernement, comme en Irak en 2003, et l’intervention humanitaire qui vise à protéger la population, dont le changement de régime peut être un moyen, pas une fin, comme en Libye en 2011 [25]. Hubert Védrine, à qui l’on opposait le 18 mars 2011 que l’objectif de l’intervention pouvait être politique et non humanitaire, a eu raison de répondre qu’« il n’y a pas de contradiction » [26].
La France, les États-Unis et le Royaume-Uni n’ont donc pas outrepassé le mandat de la résolution 1973. C’est aussi ce que pense le Secrétaire général Ban Ki-moon : la résolution a été « strictement appliquée, dans ses limites, dans son mandat (…). L’opération militaire menée par les forces de l’OTAN s’est inscrite strictement dans (la résolution) 1973 » [27]. En revanche, on peut leur reprocher d’avoir insuffisamment expliqué cette interprétation [28]. C’est essentiellement une erreur de communication. En débattre explicitement au sein du Conseil de sécurité pendant l’intervention n’aurait sans doute pas convaincu les BRICS, mais cela aurait coupé l’herbe sous le pied d’une partie des critiques qui justifieront ensuite le blocage sur la Syrie.
L’intervention a-t-elle fait plus de 50 000 morts ?
C’est le chiffre avancé par J. Ping, qui ajoute que « cela faisait partie des estimations les plus basses » [29]. Il parle d’un « massacre », dont l’asymétrie lui est d’ailleurs insupportable : « plus de 50 000 morts africains contre ‘zéro mort’ européen » (p. 195), comme si c’était une guerre entre l’Europe et l’Afrique et que le but était de mourir autant des deux côtés. D’où tient-il cette estimation basse de « plus de 50 000 libyens tués, en majorité des civils » (p. 140) ? « Ce sont les chiffres qui ont circulé au sein de l’Union africaine », répond-il, tout en reconnaissant que « personne ne comptait les morts » [30].
Cette quantité est deux fois plus élevée que l’estimation la plus haute du bilan de la guerre civile libyenne en général, c’est-à-dire des victimes additionnées des forces loyalistes, des rebelles et des intervenants. En 2013, le nouveau gouvernement libyen a revu à la baisse son estimation initiale de 25 000 victimes et aboutit à un résultat d’environ 5 000 morts de chaque côté. Et des organisations indépendantes comptent entre 2 000 et 6 000 morts au total [31].
Quant à ceux qui sont imputables aux forces de la coalition, même le gouvernement Kadhafi n’a pas présenté un chiffre aussi fantaisiste que celui de J. Ping, alors que, comme l’a établi le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, il « avait délibérément fait un rapport inexact sur l’étendue des pertes civiles », et même pratiqué des manipulations grossières, comme le fait de placer des corps d’enfants prélevés dans une morgue sur le lieu d’une frappe de l’OTAN [32].
L’OTAN n’employait que des munitions guidées [33] et le Conseil des droits de l’homme a reconnu qu’elle a pris de nombreuses précautions pour minimiser les dommages collatéraux. Il n’y a pas de bilan définitif de l’intervention, mais l’ONU et les ONG ayant enquêté sur certaines frappes comptent les victimes civiles en dizaines, pas en dizaines de milliers [34].
L’intervention est-elle responsable du chaos actuel ?
Dans sa troisième et dernière partie, J. Ping l’affirme : l’intervention serait responsable du chaos en Libye et dans la région. Qu’en est-il vraiment ? En Libye, on oublie aujourd’hui que, pendant plus d’un an, juste après l’intervention, tout allait mieux. L’État libyen ne s’est pas effondré après la mort de Kadhafi, au contraire. Il y a eu une période d’éclaircie qui a permis de « procéder avec un relatif succès le 7 juillet 2012 au premier scrutin jamais organisé dans le pays », comme le reconnaît l’auteur (p. 206). C’est bien la preuve que le chaos actuel n’est pas directement imputable à l’intervention.
Quant aux conséquences régionales, J. Ping écrit que l’intervention a « grandement ouvert la boîte de Pandore » et que le Mali en a été la « première victime collatérale » (p. 166). « Moins de 6 mois à peine après la chute de Kadhafi, le Sahel, grand comme 15 fois la France, s’embrasait à son tour, le Mali, agressé, s’effondrait, tandis que le Niger, puis le Tchad s’en trouvaient à leur tour directement menacés » (p. 150). Il faut nuancer ce qui est présenté comme une causalité stricte : le problème du nord-Mali ne date pas de 2012. J. Ping lui-même parle d’une « résurgence de la lancinante question touareg » et de la « quatrième » rébellion armée depuis 1990 (p. 169).
On ne peut toutefois pas nier les liens entre le chaos libyen et la menace djihadiste dans la bande sahélo-saharienne : le Sud libyen est devenu un supermarché d’armes et un refuge pour les terroristes. On ne peut nier non plus que la fin de la « légion verte » kadhafienne et les exactions visant les Africains non-libyens ont entrainé au Mali et au Niger un afflux de combattants aguerris. Il faut en revanche se demander ce que seraient le pays et la région aujourd’hui s’il n’y avait pas eu d’intervention en 2011. Outre que cette démonstration d’impuissance aurait pu peser sur la suite du printemps arabe en envoyant aux autres dictateurs le message qu’ils pouvaient continuer à réprimer sans risque, la Libye serait la Syrie. Kadhafi serait peut-être toujours au pouvoir, dans un pays divisé et brisé par quatre ans de guerre civile. Il y aurait eu des centaines de milliers de morts et davantage encore de réfugiés, c’est-à-dire de naufragés dans la Méditerranée. La « crise migratoire » dont l’Europe se plaint depuis quelques mois l’aurait frappée plus tôt et plus fort. Et une organisation terroriste comme Daech aurait pu proliférer. On voit mal en quoi cela aurait été mieux pour la stabilité nationale et régionale.