Recension Histoire

La cour, objet politique ?

À propos de : Fanny Giraudier, Sortir des guerres de Religion. Henri IV, les nobles et la cour, Presses Universitaires de Rennes


par , le 23 octobre


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Déjà pensée par les derniers Valois comme un objet politique de représentation du pouvoir et des relations entre le roi et les nobles, la cour d’Henri IV a joué le rôle d’outil social essentiel dans la mise en œuvre de la politique de sortie des conflits civils et confessionnels du début du XVIIe siècle.

Anonyme, Henri IV s’appuyant sur la religion pour donner la paix à la France, vers 1590

L’histoire de la cour du premier roi Bourbon a longtemps été pensée selon une logique qui se résume par un mot de François de La Noue : « la cour est à l’image du prince [1] ». Conformément à la vision traditionnelle d’un Henri IV qu’on se figurerait « rustique » et « familier [2] », la cour de France au premier XVIIe siècle aurait abandonné les pratiques et les cadres qui lui avaient donné un statut de formidable objet de pouvoir et de négociation politique sous les règnes des derniers Valois, pour ne les retrouver, sous d’autres formes, que sous celui de Louis XIV. Le livre de Fanny Giraudier nous rappelle qu’il faut toujours se garder, dans les sources, de la rhétorique anti-curiale : véritable lieu commun, elle est d’autant plus renforcée au début du XVIIe siècle que le système politique mis en place sous le règne du dernier Valois, fondé sur la notion de faveur, a suscité de nombreuses critiques. L’argument moral et financier contre les libéralités de la cour est très audible dans le royaume de France exsangue au sortir des guerres de Religion ; mais c’est la volonté d’Henri III de maîtriser l’accès à sa personne qui avait suscité la plus grande méfiance, tant elle allait à l’encontre de la logique de rang qui appuie les prétentions politiques de la haute noblesse.

Dans cet ouvrage, tiré de sa thèse de doctorat, Fanny Giraudier redonne à la cour d’Henri IV son statut d’objet politique, moyen pour le roi de mettre en œuvre une politique irénique au sein de laquelle se réaffirme l’autorité royale et se redéfinissent les rapports entre le souverain et sa noblesse. S’inscrivant dans la démarche initiée par Nicolas Le Roux [3], le livre réalise une histoire sociale du politique qui fait donc l’hypothèse que l’espace curial, en tant que lieu qui affiche et met en scène les relations et la proximité avec le souverain, joue un rôle dans le remodelage des liens politiques et sociaux nécessaire dans un royaume en pleine recomposition.

Le roi et sa noblesse, une relation à reconstruire

L’une des forces de l’ouvrage est de mettre l’accent sur le poids des contraintes qui s’exercent sur Henri IV à son arrivée au pouvoir : si le roi de Navarre bénéficiait bien de relais à la cour d’Henri III, il hérite d’un système institutionnel et de réseaux de fidélités déjà largement constitués, avec lesquels, comme l’autrice l’exprime à plusieurs reprises, il est « forcé de composer » (ici p. 41). Le propos s’attache donc à résoudre un questionnement profondément politique : comment parvenir à élaborer une stratégie d’action, porteuse d’un projet politique, au sein d’un espace profondément contraint et au sein duquel les cadres sont complètement à reconstruire ?

La démarche de l’historienne se structure autour de deux axes, qui traversent son ouvrage. En premier lieu, les relations entre Henri IV et la haute noblesse sont analysées au travers des multiples parcours individuels de figures qui, du fait de leur rang ou de leur rôle sous le règne d’Henri III, ont des prétentions politiques. Pour l’autrice, plutôt que de les comprendre comme le fruit de l’orgueil des grands ou de la volonté d’Henri IV d’établir un pouvoir absolu, l’ensemble de ces épisodes est à comprendre au prisme d’un programme politique de retour à la paix.

La cour d’Henri IV demeure dans l’imaginaire un lieu informel, où il est possible d’entrer dans l’intimité d’un roi « rustique », voire de le surprendre en train de s’amuser avec ses enfants (Henri IV et ses enfants, lithographie d’après Jean-Auguste-Dominique Ingres, Goupil & Cie, Paris, vers 1861)

À cet égard, la première partie du livre, sur le rôle attribué à la guerre dans la constitution de l’entourage des premières années du règne, est très éclairante : Henri IV s’attache autant à maintenir la présence de réformés auprès de lui qu’à assurer celle des Guise. Dans une analyse qui insiste sur la sémiotique des actions royales (p. 49-50), la promenade humiliante imposée en 1595 par le roi au duc de Mayenne, qu’il distance à grandes enjambées alors qu’il souffre de la goutte, n’est pas dissociable de la place d’honneur qui lui est attribuée au cours du banquet qui s’ensuit, puis de la nomination par Henri IV de l’ancien chef de la Ligue comme grand chambellan : à travers cet honneur, le roi marque son désir de se réconcilier avec l’ensemble des parties de son royaume, tout en construisant l’image d’un souverain qui refoule ses passions au nom de l’exercice d’un pouvoir de raison.

Mettre en scène la clémence royale

Une analyse similaire se retrouve au moment d’aborder le traitement du complot fomenté par le maréchal Charles de Gontaut Biron, qui se serait allié avec le roi d’Espagne et le duc de Savoie pour assassiner Henri IV et partager son royaume. Fanny Giraudier a soin de donner une explication à l’événement qui dépasse le simple commentaire sur l’ambition du maréchal : la conjuration s’inscrirait dans un contexte de contestation anti-absolutiste et nobiliaire observable à l’échelle européenne (p. 225). Elle s’efforce cependant aussi de faire l’étude de ses suites, pensées comme la manifestation d’une politique de retour à l’unité et l’affichage de la cohésion de la noblesse autour du roi. Ainsi, l’autrice souligne la volonté initiale du roi d’aboutir à la réconciliation et de faire preuve de clémence à l’égard de Biron (p. 223), en partie certes en raison de la présence dans la conjuration de Charles de Valois, fils naturel de Charles IX et demi-frère de sa maîtresse Henriette d’Entragues à qui il avait remis une promesse de mariage. Ce n’est qu’avec la découverte de l’ampleur du complot, et parce qu’il refuse de mettre le royaume en péril par une guerre contre l’Espagne, que le roi fait condamner Biron à l’issue d’un procès devant le parlement, troquant les habits de la clémence royale contre ceux de la raison d’État (p. 224).

Les conflits qui s’ensuivent obéissent à la même oscillation : après l’aveu du comte d’Auvergne en 1604, celui-ci est condamné à avoir la tête tranchée, et l’ancienne maîtresse royale à finir ses jours dans un couvent. Dans les faits cependant, six mois plus tard, le roi les disculpe et la marquise de Verneuil revient même à la cour (p. 230). Il en va de même dans le conflit avec le duc de Bouillon, assiégé à Sedan pour avoir voulu profiter du trouble suscité par l’affaire, avant d’être accueilli en grande pompe à la cour pour se réconcilier avec le roi (p. 232-234). La cour sert alors de lieu de mise en scène de l’image royale, au gré de la recomposition constante de ses rapports avec sa noblesse.

Des femmes au service du pouvoir

Catherine de Bourbon, sœur d’Henri IV, contribue à animer une « cour sans reine » tout en assurant une présence réformée au plus proche du pouvoir après l’abjuration de son frère en 1593.

Nicolas Quesnel, « Madame la Princesse, sœur de Henri IV, duchesse de Bar », 1594

Dans ce contexte, notable est le souci de Fanny Giraudier de s’intéresser à la place occupée par les femmes au sein de la cour d’Henri IV. En mettant l’accent sur la façon dont la cour intègre des figures connues et de haut rang, l’autrice explore toujours la façon dont celles-ci ont participé à la politique royale, en recréant des maisons et, parfois, une vie de cour autour du souverain.

L’exemple de Catherine de Bourbon est très éclairant (p. 61-70), tant il souligne, là encore, la dimension politique de cette entreprise. En revenant auprès de son frère en 1593, à un moment charnière où le roi gagne du terrain sur le plan militaire et où il renforce sa légitimité en abjurant le protestantisme au profit du catholicisme, Catherine de Bourbon assure le retour d’une vie de cour dont les divertissements artistiques et festifs sont susceptibles d’attirer les membres de la haute noblesse. Elle maintient aussi les huguenots dans l’entourage du roi, en demeurant fidèle à la foi réformée. Elle concourt enfin à légitimer la présence de Gabrielle d’Estrées dans l’entourage immédiat du roi. Dans cette cour restée longtemps sans reine, elle assume alors un rôle certes genré, mais essentiel dans l’entreprise henricienne de relégitimation de son propre pouvoir initiée à cette période.

Du service du roi à celui de l’État

Le second axe suivi par Fanny Giraudier consiste en l’analyse des institutions de la cour et de leur évolution. Si l’autrice reconnaît, conformément aux sources, que le cérémonial ou que les cadres de la cour se relâchent, elle l’explique moins par la personnalité du roi que par les difficultés rencontrées à la sortie des guerres, tant pour les finances du royaume que dans la démographie de la noblesse. Il ressort cependant surtout de l’étude que les mutations du cérémonial relèvent d’une volonté du roi de mettre en scène une autre forme de puissance, fondée sur une relation paternelle avec ses sujets, et en particulier sa noblesse. Cela s’exprime dans toutes les dimensions, le roi n’hésitant pas à reprendre, parfois publiquement, ceux qui s’éloignent de leur devoir. Surtout, Henri IV fait valoir le faste pour symboliser sa puissance, en particulier lors des grandes cérémonies de cour comme les baptêmes d’enfants royaux ou les réceptions d’ambassadeurs, dans lesquelles les rangs et les faveurs restent marqués.

Outre ces analyses qui confirment des hypothèses déjà formulées sur la cour du premier Bourbon, l’ouvrage met surtout en avant une cour qui demeure, malgré ces changements, centrale dans l’exercice du pouvoir d’un État royal en formation. L’autrice met en avant la poursuite, voire le renforcement de la distinction entre service de la personne du roi et service du bien public et de l’État. Dans le premier cas en effet, on ne constate pas de diminution des effectifs de la cour, en particulier au sein du département de la Maison du Roi chargé de son bon fonctionnement. Les charges de la Maison du Roi demeurent très prisées, en raison des privilèges et du prestige qui leur sont attachés. Dans un tel contexte, l’autrice décrit le maintien d’une logique de nomination qui compose entre récompense des fidélités et nécessité de tenir compte des transmissions familiales et des clientèles en place.

Ainsi, Nicolas de Harlay de Sancy, conseiller fidèle du roi au début de son règne, est-il nommé premier maître d’hôtel en 1594. Toute sa famille profite alors de son élévation, à l’image de ses frères Robert de Montglat, déjà gentilhomme de la Chambre sous Henri III, à son tour premier maître d’hôtel en 1596, et Louis de Saint-Aubin, gentilhomme de la Chambre employé dans des missions diplomatiques en 1605, ce qui permet à Henri IV de s’assurer des relais parmi « des membres influents de la noblesse seconde » (p. 136-137).

Du clientélisme à l’expertise

Dans le second cas, Henri IV poursuit un phénomène déjà initié sous ses prédécesseurs, en coupant le service de l’État, et en particulier l’accès aux Conseils royaux, des réseaux de clientèle des grands. Dès le début du règne, il distingue « ceux qui forment sa compagnie » de « ceux qui, en tant que spécialistes, sont ses conseillers » (p. 47). Dès lors, le roi s’appuie sur des figures déjà en place sous Henri III, comme Nicolas de Neufville de Villeroy ou Nicolas Brulart de Sillery, rapidement rappelés dans les années 1590 après avoir été disgraciés de façon tonitruante en 1588. Il n’y a guère que Sully qui fasse figure de contre-exemple, en circulant entre ces deux groupes.

Cette séparation des missions du conseil et de ses personnels se couple à une mutation des discours, également étudiée par Giraudier, qui reprend en cela les démonstrations de James Collins sur la substitution du discours du bien public par celui du service de l’État [4] : même des outils utilisés par Henri III pour s’assurer une clientèle, à l’image de l’ordre du Saint-Esprit, sont réemployés pour exalter l’obéissance au roi et la nécessité pour ses nouveaux membres de s’engager au service du maintien de la stabilité de la paix et, par-là, de l’État.

Pour résumer, l’ouvrage de Fanny Giraudier remplit très bien son projet, celui de mener une histoire politique de la cour au prisme de ses dynamiques sociales, pour montrer la façon dont un espace, certes fragilisé et en reconstruction, a constitué un des volets de l’entreprise de « sortie des guerres de Religion », en contribuant à réparer les déchirures induites au sein de l’espace social, en particulier nobiliaire. En s’extirpant d’une histoire focalisée sur la personne royale et la construction de l’absolutisme, à l’image d’autres ouvrages récents [5], elle rappelle également, de façon rafraîchissante, toute la fragilité et la fébrilité du corps politique du début du XVIIe siècle, et pose la question, récurrente dans les sources, et qui occupe toute la pratique politique des souverains et de leur entourage, de la façon, étape par étape, de le reconstruire après l’épreuve des guerres civiles.

Fanny Giraudier, Sortir des guerres de Religion. Henri IV, les nobles et la cour, Rennes, Presses Universitaires de Rennes/Centre de Recherches du château de Versailles, 2025, préface de Nicolas Le Roux, 274 p., 25 €.

par , le 23 octobre

Pour citer cet article :

Adrien Aracil, « La cour, objet politique ? », La Vie des idées , 23 octobre 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Giraudier-Sortir-des-guerres-de-Religion-Henri-IV

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Notes

[1Cité dans Jean-François Solnon, La Cour de France, Paris, Fayard, 1987, p. 177.

[2Selon les titres des chapitres consacrés à cette période dans ibid., p. 177-203.

[3Nicolas Le Roux, La Faveur du roi. Mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers 1589), Seyssel, Champ Vallon, 2000  ; Le Roi, la Cour, l’État. De la Renaissance à l’absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2013.

[4James B. Collins, La Monarchie républicaine. État et société dans la France moderne, Paris, Odile Jacob, 2016.

[5Par exemple Lana Martysheva, Henri IV roi. Le pari de l’hérétique, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2023.

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