Le problème
Les transformations du capitalisme ont contribué à un éclatement du tissu productif. La présence des organisations syndicales sur les lieux de travail est très inégale. Seules 42% des entreprises de plus de 50 salariés sont dotées de délégués syndicaux, et dans les plus petites entreprises, leur présence est encore plus marginale. Cette implantation disparate des syndicats est un facteur majeur d’inégalités entre salariés. La présence syndicale joue en effet un rôle moteur dans la bonne application du droit du travail, l’organisation des négociations salariales et la prévention des risques professionnels. En l’absence de syndicat, les salariés des petites entreprises se trouvent ainsi entravés dans l’accès à leurs droits. Cette situation se révèle d’autant plus dommageable qu’une part importante des emplois ouvriers et employés, exposés à des conditions de travail pénibles et soumis à des rémunérations basses, se concentre désormais dans le monde de ces petites entreprises.
Dans des petits établissements qui reposent sur de forts liens interpersonnels, il est plus compliqué pour un salarié de prendre l’initiative de créer un syndicat, d’autant que les directions y sont généralement très hostiles (Giraud, Signoretto, 2023). L’implantation des syndicats y est aussi rendue difficile par le mode d’attribution du droit syndical. Les financements, les heures de délégation et les salariés mis à disposition des syndicats sont en effet essentiellement attribués en échange de leur participation aux dispositifs du paritarisme et de la négociation collective, dans les branches ou les entreprises. Ces règles ont donc pour effet de concentrer les ressources institutionnelles des syndicats là où ils sont présents et là où les employeurs considèrent avoir les moyens de contribuer au « dialogue social ». Les confédérations syndicales disposent certes de structures territoriales « de proximité », qu’elles soient professionnelles ou interprofessionnelles. Mais elles fonctionnent avec des moyens très contraints, qui entravent concrètement la capacité des syndicats dans leur vocation à aider l’ensemble des salariés à faire valoir leurs droits individuels et collectifs.
La proposition
Pour renforcer la capacité des syndicats à aller au-devant des salariés dépourvus de représentants syndicaux, instituer un véritable droit syndical interprofessionnel autour d’un mandat d’organisateur syndical, conçu comme une version augmentée du conseiller du salarié, dont la vocation se limite à accompagner les salariés en cas de rupture de contrat de travail.
Comment ça marche
Dans chaque département, le mandat d’organisateur syndical serait attribué par chacune des organisations représentatives à des militants désignés par elles. Il serait assorti d’une liberté d’accès aux établissements et aux chantiers dépourvus de représentants syndicaux, ce qui permettrait aux syndicats d’étendre leur présence auprès des salariés qui en ont le plus besoin, en particulier dans le réseau des TPE-PME de la sous-traitance. À la différence du conseiller du salarié, qui ne constitue un recours pour les salariés privés d’instances représentatives du personnel que dans le cadre d’une procédure d’entretien préalable à un licenciement ou de rupture conventionnelle (Ferrette, 2010), l’organisateur syndical serait doté d’une capacité d’initiative telle que l’organisation de réunions d’information à destination du personnel. Il viendrait ainsi renforcer la capacité des syndicats à aller au-devant des salariés pour les informer de leurs droits, les aider à s’organiser et les accompagner dans la prise en charge de leurs premiers mandats de représentants. Ce mandat syndical, rémunéré comme du temps de travail, serait financé par la contribution indexée sur la masse salariale que l’ensemble des entreprises versent déjà au fonds paritaire national pour la démocratie sociale, ce qui garantirait que toutes les entreprises contribuent à la mesure de leurs moyens à l’exercice de la citoyenneté sociale (Julliard, Yon, 2025).
Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?
– Baptiste Giraud, Camille Signoretto (dir.), Un compromis salarial en crise. Que reste-t-il à négocier dans les entreprises ?, Éditions du Croquant, 2023.
– Nicolas Farvaque, « Les salariés de PME : d’une spécificité des relations sociales à un rapport particulier aux prud’hommes ? », Revue de l’IRES, n° 66, 2010
– Jean Ferrette, « Au-delà de l’action directe et de l’institutionnalisation, les conseillers du salarié », Travail et emploi, n° 122(2), 2010, p. 53-63.
– Émilien Julliard, Karel Yon (dir.), Les finances du syndicalisme, Presses Universitaires du Septentrion, 2025.
– Maria Teresa Pignoni, « Les instances de représentation des salariés dans les entreprises », Dares Résultats, 2023, n°32
Comment mettre en œuvre ?
Cette nouvelle disposition pourrait être intégrée dans le cadre d’un projet de loi centré sur le renforcement des droits syndicaux et faisant l’objet d’une négociation préalable entre partenaires sociaux.
Pour citer cet article :
Baptiste Giraud & Karel Yon, « Créer un droit interprofessionnel d’organisateur syndical. Proposition 9 »,
La Vie des idées
, 20 décembre 2024.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://booksandideas.net/Creer-un-droit-interprofessionnel-d-organisateur-syndical
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