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Crippled Avengers, Chang Cheh, 1978

Perspectives Société

Dossier / Travailler mieux, un recueil de propositions

Adapter les postes aux besoins et capacités des travailleurs handicapés
Proposition 15


par Fanny Jaffrès , le 25 février


Pour garantir un véritable choix aux travailleurs handicapés, des aides durables pour adapter les postes à leurs besoins et capacités devraient être accessibles à tous les employeurs, et pas seulement aux établissements spécialisés.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) adoptée en 2006 par les Nations unies appelle aujourd’hui clairement à leur inclusion en milieu ordinaire. Elle promeut même la désinstitutionalisation, c’est-à-dire la fermeture des établissements spécialisés et la mise en accessibilité globale de la société. En matière d’emploi et de travail, l’article 27 de la CDPH pose que « les États Parties reconnaissent aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit au travail, notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouverts, favorisant l’inclusion et accessibles aux personnes handicapées ». Ainsi, la CDPH promeut l’inclusion des personnes handicapées en milieu ordinaire et désapprouve les traditionnels ateliers de travail protégé.

Le secteur protégé garde pourtant une place importante dans le dispositif français d’insertion professionnelle des personnes handicapées. On compte aujourd’hui quelque 1 500 établissements et services d’accompagnement par le travail (Ésat), proposant 119 830 places et accompagnant 125 650 personnes. La population accueillie en Ésat se distingue particulièrement de celle en emploi en milieu ordinaire : les personnes en Ésat sont majoritairement concernées par la déficience intellectuelle (70,9 %) et les troubles psychiques (21,5 %) tandis qu’en milieu ordinaire, les travailleurs handicapés présentent plutôt des déficiences motrices (38 %) et très peu de déficiences intellectuelles ou troubles psychiques graves (seulement 6 %) (Revillard, 2019).

Aussi, bien que les taux d’emploi de travailleurs handicapés en entreprises ordinaires augmentent, l’inclusion des personnes handicapées reste difficile. Cette inclusion passe par l’adaptation des postes de travail aux besoins et capacités des travailleurs handicapés, mais seuls les établissements et services d’aide par le travail (Ésat) et les entreprises adaptées ont actuellement les moyens de le faire.

Cette capacité d’adaptation de ces acteurs spécialisés tient notamment aux aides au poste qu’ils perçoivent pour chaque travailleur handicapé. Cette aide au poste contribue à compenser les conséquences du handicap et des actions engagées liées à leur emploi et permet aux Ésat et aux entreprises adaptées de limiter leurs exigences de productivité. En entreprise adaptée, les travailleurs handicapés disposent d’un emploi de droit commun. Ils sont soumis au droit du travail et perçoivent au minimum le Smic. Le montant de l’aide au poste versée aux entreprises adaptées varie selon l’âge des travailleurs handicapés entre 15 400 euros (moins de 50 ans) et 15 600 euros (56 ans et plus) par an. En Ésat, les travailleurs handicapés ne sont pas salariés, mais usagers du secteur médico-social. De ce fait, ils ne perçoivent pas le Smic, mais une rémunération garantie. Selon les chiffres de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inscpection générale des finances (IGF) fournis dans leur rapport sur les Ésat en 2019 et mis à jour avec les valeurs de 2025, une personne en Ésat à temps plein perçoit en moyenne une rémunération de 1 077,82 € brut (contre 1 766,92 € pour le Smic) par mois composée d’une rémunération directe égale à 10,32 % du Smic et d’une aide au poste à hauteur de 50,7 % du Smic.

Les employeurs du secteur ordinaire, entreprises privées et organisations publiques, ne disposent pas d’aides équivalentes. Les aides financières disponibles (contrats aidés, reconnaissance de lourdeur du handicap, etc.) sont toutes à durée déterminée. Pour les employer de manière pérenne, les employeurs attendent donc des travailleurs handicapés qu’ils soient aussi productifs que les autres. Cela constitue un frein dans les parcours des personnes qui souhaitent quitter les établissements spécialisés. Pour que les travailleurs handicapés puissent véritablement choisir leur lieu de travail comme le veut la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, il faudrait que l’ensemble des employeurs disposent d’aides pérennes pour les employer.

La proposition

Faire bénéficier les Employeurs privés comme publics de subventions salariales à long terme permettant de compenser les coûts liés aux besoins d’adaptation et aux capacités de travail réduites de certaines personnes handicapées.

Comment ça marche

Il faudrait consolider l’actuelle reconnaissance de lourdeur du handicap (RLH) versée par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) en pérennisant les aides disponibles aux employeurs privés et les ouvrir au secteur public. La RLH permet aux entreprises et aux travailleurs non-salariés de bénéficier d’une aide pendant trois ans pour compenser les charges pérennes induites par le handicap après aménagement optimal du poste de travail. Cette aide prend la forme d’une modulation de la contribution à l’Agefiph ou du versement de l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés. Il faudrait non seulement pouvoir en allonger la durée, mais aussi pouvoir l’octroyer plus largement. En 2023, selon le rapport d’activité de l’Agefiph, on ne comptait que 7 509 bénéficiaires de la RLH. À ce jour, la RLH n’existe que pour le secteur privé et il conviendrait d’en créer un équivalent pour la fonction publique.

À la signature d’un contrat à durée indéterminée avec un travailleur handicapé présentant une moindre productivité objectivée, nécessitant la mise en place de l’aide d’un tiers ou d’un tutorat, ou dont l’emploi implique d’autres surcoûts générés par le handicap, l’entreprise obtiendrait le droit à une aide du service public de l’emploi à hauteur de la réduction de capacité et des besoins de compensation de la personne. Le montant de l’aide pourrait atteindre dans certains cas 50 % du Smic. Dans un premier temps, en lien avec l’objectif de transition vers le milieu ordinaire, cette aide viserait en priorité les travailleurs sortant d’Ésat ou d’entreprise adaptée.

Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?

Les travaux conduits sur le dispositif d’insertion professionnelle des personnes handicapées en France montrent que les établissements et services d’aide par le travail (Ésat) et les entreprises adaptées sont capables d’adapter le travail aux besoins et capacités des travailleurs handicapés qu’ils emploient.

Les recherches relatives à l’accompagnement des personnes handicapées montrent qu’une fois prises en charge par le secteur du handicap, elles peinent à en sortir pour aller ou retourner en milieu ordinaire. Aussi, les Enfants scolarisés en institut médico-éducatif (IME) sont généralement orientés vers le secteur de travail protégé. C’est ce qu’on appelle l’« effet filière ». Or il existe aujourd’hui une aspiration des personnes concernées à aller vers le milieu ordinaire et des orientations politiques pour favoriser l’inclusion en milieu ordinaire.

L’étude du cas suédois montre que les aides disponibles pour l’ensemble des employeurs facilitent l’emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire, y compris celles présentant des niveaux de capacités réduits.

Comment mettre en œuvre

L’extension dans le temps et vers le secteur public de la reconnaissance de lourdeur du handicap impliquerait d’inscrire cette mesure dans la loi.

La mise en œuvre de la mesure s’appuierait sur le service public de l’emploi et les maisons départementales des personnes handicapées qui sont en charge de l’orientation des personnes handicapées. Négocié entre l’employeur et le Service public de l’emploi sous la supervision des maisons départementales des personnes handicapées, le montant de l’aide au poste repose sur une évaluation des capacités du travailleur et des adaptations nécessaires pour compenser le handicap de la personne. L’aide serait régulièrement évaluée pour s’assurer non seulement qu’elle correspond toujours aux capacités du travailleur, mais surtout pour veiller à ce que le travailleur bénéficie effectivement des mesures de compensation attendues.

par Fanny Jaffrès, le 25 février

Pour citer cet article :

Fanny Jaffrès, « Adapter les postes aux besoins et capacités des travailleurs handicapés. Proposition 15 », La Vie des idées , 25 février 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Adapter-les-postes-aux-besoins-et-capacites-des-travailleurs-handicapes

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