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Martha Nussbaum a inventé une philosophie morale et politique à même de renouveler la compréhension du féminisme, de la justice mais aussi du rôle des émotions, du développement humain et de la littérature. Cette œuvre n’est pas seulement impressionnante par la variété des thèmes abordés et le nombre de pages écrites ; elle l’est également par la méthode. Cette philosophe, titulaire de la chaire Ernst Freund de Droit et d’Éthique à l’Université de Chicago, revendique une forme d’abstraction toujours combinée à des recherches plus empiriques. Du point de vue de l’ancien partage philosophique issu de l’Antiquité grecque, elle est influencée par Aristote plutôt que par Platon. Dans The Fragility of Goodness, l’un de ses premiers livres qui porte sur l’éthique des anciens Grecs, elle fait d’Aristote le promoteur d’une éthique relationnelle à travers laquelle le souci des apparences prend la forme d’une réflexion sur la vulnérabilité du bien-vivre [1].
C’est être aristotélicien que de penser que les formes de vie et les exemples issus de la réalité sont essentiels pour construire un discours philosophique enraciné dans un diagnostic du présent mondialisé. Une philosophie édifiante, qui travaille avec des définitions, des principes généraux admettant mal les cas particuliers ou les récits de vie décalés, n’appartient pas à l’univers de pensée de Martha Nussbaum. Cette mise en tension de la philosophie au contact d’une réalité vaut en même temps comme une manière de rendre l’empirique plus réflexif : « Sans une certaine forme d’abstraction, il n’y aurait ni pensée ni parole ; et le caractère abstrait de la philosophie politique a une grande valeur, tant que celle-ci reste attachée à ses applications pratiques (ce qui n’a pas toujours été le cas) » [2]. Une philosophie féministe est à penser dans cet horizon. D’un côté, elle entend renouer, contre un culturalisme postmoderne, avec des approches universelles et promouvoir des normes transculturelles de justice, d’égalité et de liberté. D’un autre côté, elle se donne pour mission d’aider à comprendre la vie réelle des femmes, en fonction des problèmes différents auxquels le genre les assigne selon qu’elles vivent, par exemple, aux États-Unis d’Amérique ou en Inde.
Plus encore, ce féminisme s’analyse à l’intérieur du contexte international, celui d’un développement économique mondialisé qu’il faut savoir apprécier ou évaluer à sa juste mesure. À ce titre, Martha Nussbaum souligne l’importance des comparaisons de qualité de vie entre les nations, dans l’esprit inauguré par Amartya Sen, plutôt que d’en rester à des classements selon le produit intérieur brut qui ne font rien connaître de la situation de bien-être social. L’économie ne se résume pas à la croissance économique ; elle est au service des individus, ce qui revient à prendre en compte ce « à quoi tous les citoyens ont droit en vertu de leur qualité d’être humain » [3].
La possibilité d’une relance du progrès social surgit ainsi à travers une reconnaissance de l’approche par les capabilités, manière de penser les conditions du développement humain en ouvrant les choix de vie pour tout individu. L’approche déclarative que les droits promeuvent ne suffit pas ; elle doit être complétée par un plein accomplissement du droit. Les capabilités permettent de défendre un pouvoir d’être et d’agir également réparti contre tout ce qui l’empêche d’exister : classes sociales, genre, origine ethnique ou religieuse, castes. Il s’agit bien alors de renouveler le libéralisme politique par différence avec le modèle abstrait de Rawls, de lui donner les moyens de se concentrer sur les expériences en donnant à la liberté humaine le sens d’une liberté d’accomplissement. Ce n’est pas pour autant renouer avec un humanisme de principe mais énoncer la manière dont les gouvernants peuvent favoriser la qualité de vie de leurs gouvernés. Le développement des capabilités se fait toujours individuellement mais il doit être placé sous la responsabilité de la société. Le but est bien de trouver les moyens, principalement par des politiques publiques, de donner du pouvoir d’être et d’agir à celles et ceux dont la liberté est restreinte par toutes sortes d’obstacles.
La direction choisie par Martha Nussbaum est bien celle de capabilités conçues comme des droits humains qui constituent la fondation morale d’une élaboration des principes politiques. Le questionnement sur la philosophie morale est alors essentiel. Il traverse d’autres thèmes : la relation entre les modes littéraires et les modes philosophiques du raisonnement moral, le rôle des émotions dans la vie morale ou encore l’influence de la honte et du dégoût sur la vie sociale et la loi. La manière dont les humains vivent et dont ils doivent vivre sont deux problèmes essentiels pour la philosophie, selon un tressage spécifique du social et du moral qui concerne la possibilité de donner un sens à la vie. Qu’est-ce qu’une vie humaine pour un discours philosophique qui fait sien la perspective de l’internationalisation sans renoncer aux spécificités juridiques des différentes démocraties du monde ? Comment concilier le mondial et le local, l’universalité et le pluralisme, la théorie et la pratique, la raison et les émotions, le privé et le public ? Assentir à la philosophie de Martha Nussbaum suppose préalablement de mettre en cause un certain nombre de partages philosophiques établis à travers l’histoire de la philosophie.
Une philosophie féministe
Dans Sex and Social Justice, la philosophe propose de penser ensemble le féminisme, l’internationalisme et le libéralisme dans le contexte d’une économie mondialisée. Cette investigation suppose un respect de la « dignité humaine » à travers les lois et les institutions. Selon l’introduction de Sex and Social Justice, « l’idée de dignité humaine implique habituellement l’idée d’un monde égal » [4] : les partages selon la domination entre pauvres et riches, ruraux et urbains, femmes et hommes, sud et nord sont remis en question. Et si on ajoute l’idée de liberté à celle de dignité, respecter la valeur d’égalité des personnes revient à promouvoir leur capacité à construire une vie en accord avec leurs projets, leurs désirs et leurs rêves. La dignité humaine est liée à la possibilité pour tous les humains d’être dans l’activité ; l’égalité combinée à la liberté désigne alors ce que, dans Capabilités, Martha Nussbaum, nomme « l’idée d’efforts actifs » [5]. Chaque agent mérite un égal respect de la part des lois et des institutions, ce qui ne veut pas dire que chacun arrivera nécessairement à la même condition. Mais, le déploiement des talents, des efforts, des désirs afin de faire quelque chose de sa vie ne saurait être empêché ou réservé à quelques-uns.
L’ambiguïté de la référence au libéralisme politique
Cette dignité humaine concerne particulièrement les femmes qui, partout dans le monde, ont à résister aux inégalités et aux empêchements à se réaliser. Il s’agit, pour Nussbaum, de porter un féminisme avec des traits saillants : l’internationalisme, l’humanisme, le libéralisme, la mise en forme sociale de la préférence et du désir, la référence à une intelligence des émotions. L’humanisme souligne la valeur de la dignité humaine, l’internationalisme la prise en compte de la réalité économique mondialisée, la mise en forme sociale de la préférence et du désir la liberté d’action des personnes, l’intelligence des émotions la critique d’une rationalité abstraite.
Le libéralisme est un cadre politique utile pour invoquer la démocratie mais il doit être amendé, faire l’objet d’une critique constructive. Dans le chapitre intitulé « The Feminist Critique of Liberalism », Martha Nussbaum aborde les indécisions du féminisme en matière de libéralisme politique, sa méfiance à l’égard d’un système trop formel, ce libéralisme désignant la tradition du libéralisme kantien représentée au XXe siècle par la philosophie politique de John Rawls ou encore l’utilitarisme libéral tel qu’il est issu de la pensée de John Stuart Mill. Elle rappelle alors le paradoxe ancré au cœur du féminisme ; ce dernier est à la fois un mouvement politique pour la libération des femmes (une production de pratiques) et un ensemble de discours, de savoirs et de réflexions qui les constitue du même coup comme femmes. D’un côté, les théories féministes ont produit des critiques du libéralisme considéré comme un système politique pervers qui, tout en invoquant la liberté humaine, a continué d’asservir les femmes au profit des hommes. De l’autre, les mouvements de libération des femmes, particulièrement aujourd’hui dans les pays non occidentaux, qui ne portent pas toujours des pratiques démocratiques, invoquent le langage du libéralisme politique pour justifier le combat des femmes. Selon Martha Nussbaum, que ce soit en Inde, au Soudan, ou au Bangladesh, les combats féministes contre les traditions religieuses, contre l’excision des femmes, contre le pouvoir des pères, des maris, des frères, se font au nom d’un langage qui réclame des droits, l’autonomie de la personne, la dignité, le respect pour les femmes. Ces termes, issus de la tradition libérale, d’un libéralisme investi de morale de type kantien, sont utilisés pour promouvoir une critique radicale de la société, comme si les utiliser c’était définir et prescrire ce qui est crucial pour la qualité de vie des femmes. L’essentiel de la référence au libéralisme repose sur le fait que l’individu est la base de la vie politique, et qu’ainsi les femmes peuvent être comprises comme des personnes séparées. Rejoignant le genre humain, les femmes sont alors égales aux hommes et tout autant capables de s’accomplir et d’agir. En même temps, le libéralisme ne suffit pas pour fonder une théorie féministe car, déterminant uniquement la sphère publique, il n’arrive pas à statuer sur les existences réelles et quotidiennes que les structures familiales, par exemple, mettent bien en avant. Bref, la vision que le libéralisme peut avoir de la femme est trop abstraite ; il « adopte une conception formelle inacceptable de l’égalité » [6].
Les inégalités de genre
Or, le projet de philosophie politique féministe de Nussbaum entend construire une égalité réelle contre les inégalités de genre existant sous des formes différentes selon les pays, les régions, les classes sociales, las castes ou les croyances religieuses. Certes, les concepts normatifs sont essentiels mais les concepts descriptifs également. Voilà pourquoi Nussbaum évoque souvent la situation des femmes en Inde, (Vasanti ou de Jayamma, dont les vies sont racontées). Etre philosophe, c’est savoir s’installer dans des récits qui montrent comment on devient particulièrement vulnérable dans une époque de changement économique rapide.
Ce point de départ empirique, mêlant la pratique et la théorie, suppose des mises au point sur l’Inde où la place des femmes est complexe à penser. En effet, une égalité des sexes existe en théorie puisque l’Inde est depuis son indépendance une démocratie parlementaire constitutionnelle : « La Constitution indienne est un document très favorable aux femmes » [7]. En même temps, si l’on passe du droit à l’économie, l’Inde est dans l’ensemble une nation extrêmement pauvre où les femmes sont encore plus mal loties que les hommes. Dans le domaine de l’éducation, les écarts entre les hommes et les femmes sont saisissants et révèlent une survalorisation culturelle des hommes au détriment des femmes. L’inde fait coexister des structures démocratiques et des éléments culturels traditionnels et religieux qui peuvent être utilisés pour discriminer les femmes. Toutefois, ces mêmes cultures peuvent être modifiées par la réflexion critique. L’Inde est un exemple qui rappelle que les différences entre valeurs occidentales et valeurs orientales sont des constructions souvent valorisées par le colonialisme pour asseoir son pouvoir ; les formes démocratiques peuvent exister partout dans le monde. Le féminisme doit abandonner tout point de vue centré sur l’Europe ou les États-Unis pour aborder les vrais problèmes d’inégalité de genre sans passer à côté de leur complexité et de leur diversité d’expression sociale et politique : « En général, tout féminisme fécond doit être attentif aux problèmes auxquels les gens sont réellement confrontés et à l’histoire véritable de ces problèmes qui se révélera probablement complexe » [8].
Pour autant, considérer les formes de vie en situation et préconiser un féminisme en prise avec les vies ordinaires des femmes ne revient pas à pencher du côté du relativisme. Pour Martha Nussbaum, le féminisme reste normatif et ce combat politique contre les inégalités de genre doit se faire à l’aune d’un étayage éthique quant à la réflexion sur le développement humain. Les humains en société ne sont pas seulement des agents au service d’autres individus pour mettre en œuvre des projets de vie décidés dans les sphères du pouvoir ; chacun mérite d’être considéré comme une fin, une source d’action et de production de valeur. Poser tout être humain comme un agent revient à reconnaître la pertinence de politiques qui favorisent la réalisation des projets propres des individus. Défendre l’égalité – dont l’égalité de genre – implique de construire une égalité des chances entre les agents, de favoriser les rêves, les désirs qui mènent à l’épanouissement et à la réalisation de soi [9]. Les inégalités tiennent au fait que beaucoup d’individus ne bénéficient d’aucun soutien dans la construction de leur vie. Martha Nussbaum revient alors sur les parcours de nombreuses femmes et le manque de protection publique qui amoindrit leur humanité :
« Vasanti et Jayamma, comme beaucoup de femmes en Inde et dans le reste du monde, ont manqué de soutien pour nombre de fonctions humaines les plus essentielles, et ce manque de soutien est, dans une certaine mesure, dû au fait qu’elles sont des femmes. Mais les femmes, à la différence des rochers, des arbres et des chevaux, ont le potentiel pour accéder à ces fonctions humaines, à condition que la nutrition et l’enseignement, entre autres soutiens, soient suffisants. C’est pourquoi leur échec, entaché d’inégalité, dans la sphère de la capabilité est un problème de justice » [10].
Le féminisme s’exprime dans l’établissement de conditions qui fondent un monde plus juste.
Justice et capabilités
Le manque de soutien dans l’accomplissement de certaines vies (souvent les plus pauvres) décrit en même temps des problèmes de dépendance ou d’oppression qui concernent de manière très visible les femmes. La figure de l’individu libéral, qui tient dans la valeur morale de l’autonomie ou le fait de considérer tout humain comme une fin, ne suffit pas à éradiquer les assujettissements. Dans Frontiers of Justice, Martha Nussbaum joint sa voix aux différents courants théoriques américains qui montrent que le libéralisme politique a échoué dans sa conception de la justice. Cette théorie impersonnelle exclut de la représentation politique, dans des démocraties pourtant structurées par le sujet de droit, toutes celles et ceux qui restent, pour une raison ou pour une autre, des êtres dépendants ou empêchés dans leur réalisation de soi. Comme la philosophe américaine le rappelle, la théorie sociale du contrat, qui repose sur l’indépendance des contractants, ne permet pas d’instituer un traitement égal de tous les êtres humains. En effet, le libéralisme s’est tellement structuré autour d’un culte sans partage de la fiction de l’individu autonome qu’il n’a pas su élaborer une théorie de l’individu réel, aux prises avec un monde social et un univers politique qui considère, fictivement, que tout le monde a les mêmes moyens d’être actif et libre.
Une justice correctrice du libéralisme
Martha Nussbaum rappelle que les femmes n’ont jamais bénéficié dans la tradition libérale de l’égalité morale des personnes, autrement dit de l’autonomie [11].
On ne peut que poser la question suivante au libéralisme politique : le principe libéral de l’autonomie, au fondement de la reconnaissance d’un individualisme rationnel, ne vaut-il pas comme une acceptation de l’exclusion de tous les êtres dépendants dont les femmes ? En d’autres termes, comment combattre les inégalités de genre à l’intérieur d’un système de pensée qui ne les reconnaît pas au nom d’une rationalisation des sujets ? Frontiers of Justice, placé sous l’égide d’une dédicace à John Rawls, est en même temps éminemment critique sur la conception libérale de la justice : trop abstraite, rigidifiée par une tradition politique, celle du contrat social qui ne conçoit les individus que « libres, égaux et indépendants » [12]. Certes, le libéralisme a pu se constituer comme un corps de doctrine soucieux d’élaborer des similitudes entre les hommes contre toutes les formes de subordination ou de sujétion. Cependant, il a fait silence sur un certain nombre de données individuelles qui, aujourd’hui, mettent en péril sa conception de la justice sociale :
« De telles théories ne laissent aucune place à ceux qui, pour de longues périodes de leur vie, ou même durant toute leur vie, sont sensiblement inégaux dans leur contribution à la productivité ou engagés dans des vies asymétriques à cause de leur condition de dépendance » [13].
Martha Nussbaum appartient à ce courant féministe enraciné dans une discussion de John Rawls, avec Susan Moller Okin, ou d’Eva Feder Kittay [14]. Plus encore, pour Nussbaum, la critique essentielle adressée au libéralisme est celle du manque de soutien aux individus. C’est un tel constat qui l’a poussé à développer une théorie des capabilités.
L’apport de la théorie des capabilités
La théorie des capabilités déploie l’une des valeurs centrales du libéralisme : la liberté à même d’ouvrir pour chaque être humain la sphère du possible. En même temps, elle prend de la distance avec les différentes formes actuelles du libéralisme économique et l’omniprésence de la norme du marché. Prenant à rebours les orientations économistes de l’économie, l’approche des capabilités met l’accent sur le fait que la vie ne se résume pas au revenu. Martha Nussbaum a collaboré sur ce point avec Amartya Sen et ils ont élaboré ensemble les concepts de capabilité et de qualité de vie. Ils ont ainsi travaillé de manière opérationnelle entre 1986 et 1993 dans le cadre d’un projet sur la qualité de vie pour le World Institute for Development Economics Research à Helsinki ; l’Inde a constitué pour eux un terrain de réflexion privilégié. Ils ont bien montré les empêchements à vivre qui concernent de nombreuses femmes en Inde, et comment certains programmes basés sur des mises en œuvre des capabilités (dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la mise à disposition de crédits propres, de la participation politique) peuvent réduire les inégalités de genre en ouvrant des possibles, en rendant effectifs des accomplissements de vie jusque-là inenvisageables.
Pour des économistes comme Sen, évaluer la prospérité d’un pays suppose de prendre en compte la « qualité de vie » des individus, les opportunités qui s’offrent à eux, le sens qu’ils attachent à leur existence [15]. Avec Sen, la vie d’une personne est considérée comme une combinaison de divers fonctionnements (des états et des actions) et la qualité de vie est évaluée en termes de capabilités ou de capacités de cette personne à accomplir différentes combinaisons de ces fonctionnements [16]. Trois caractéristiques sont à retenir. Premièrement, la recherche du bien-être comme qualité de vie est essentielle ; si le bien-être dépend de fonctionnements accomplis, il n’en dépend pas moins des possibilités d’accomplir concrètement ces fonctionnements. Les capabilités font les possibilités réelles de jouir du bien-être. Deuxièmement, elles permettent alors de privilégier une approche par la liberté qui vaut comme une liberté de l’agent à choisir ce qu’il accomplit et à produire ou non du bien-être. Troisièmement, elles impliquent une conception du bien qui ne repose sur aucune objectivité pré-constituée (du type des biens premiers chez Rawls, des ressources chez Dworkin ou du revenu réel dans les analyses de type PIB) mais sur les choix et les décisions des sujets à condition que ces sujets puissent déployer leurs capacités.
Sen, comme Nussbaum, renouvelle la perspective de la liberté humaine à travers la liberté d’accomplissement. La dignité humaine suppose la possibilité de disposer de choix les plus larges possible, ce qui implique une attention à des contextes toujours particuliers privilégiant ou non ces possibilités. Le but est bien de trouver les moyens de donner du pouvoir d’être et d’agir à ceux dont la liberté est restreinte par toutes sortes d’obstacles. La question principale est alors la suivante : « qu’est-ce que chaque personne dans son contexte de vie est capable de faire et d’être ? ». On peut alors évoquer à nouveau la vie de Vasanti qui hante de nombreux livres de Nussbaum : « La question centrale que pose l’approche des capabilités n’est pas : « A quel point Vasanti est-elle satisfaite ? » ni même « de combien peut-elle disposer en matière de ressources ? ». Elle est plutôt : « Qu’est-ce que Vasanti a réellement les moyens de faire et d’être ? ». Prenant position à des fins politiques sur une liste opérante de fonctions qui sembleraient être d’une importance capitale dans la vie de l’être humain, nous nous demandons : la personne est-elle capable de cela, ou ne l’est-elle pas ? Nous nous interrogerons non seulement au sujet de la satisfaction qu’éprouve la personne dans ce qu’elle fait, mais au sujet de ce qu’elle fait et de ce qu’elle est en mesure de faire (quelles sont ses possibilités et ses libertés) » [17]. Ainsi, les préférences et les choix de Vasanti ne tiennent pas seulement dans ce qu’elle accomplit dans une situation contrainte par son statut de femme, l’appartenance à une caste et la dépendance à un époux alcoolique, violent. Ils ne sauraient se limiter, dans l’approche des capabilités, aux préférences révélées par des circonstances qui oppriment sa liberté. Ils doivent devenir l’expression d’un sujet non empêché qui peut agencer suffisamment de combinaisons de fonctionnement dans un environnement politique, social et économique qui ne lui est pas défavorable. Il s’agit bien, selon les termes mêmes de Martha Nussbaum dans Capabilités qu’ « une femme demande justice » [18]. Les capabilités servent à établir les conditions d’un monde plus juste. Sur ce point, Nussbaum estime prendre une voie différente d’Amartya Sen. Alors que ce dernier insiste sur la liberté de bien-être (liberté de choisir comment on fonctionne), la philosophe prend plus largement en compte la question de la justice, et donc le projet d’une philosophie politique et sociale [19].
Les capabilités doivent alors donner lieu à des politiques publiques à définir au niveau des États pour promouvoir cette justice. Ceci ne revient pas à renouer avec un humanisme de principe mais consiste à énoncer la manière dont les gouvernants peuvent favoriser la qualité de vie de leurs gouvernés. Le développement des capabilités se fait toujours individuellement mais il doit être placé sous la responsabilité de la société.
Les capabilités fondamentales
Améliorer la qualité de vie de tous les individus à l’intérieur d’une même nation passe donc par une amélioration de l’ensemble de leurs capabilités. D’un côté, les capabilités sont universelles et peuvent concerner tout le monde car elles incarnent une liberté fondamentale de l’être humain à respecter. De l’autre, elles sont compatibles avec la diversité des civilisations et des niveaux de développement car elles supposent des seuils, des priorités que chaque pays se fixe en fonction du contexte qui est le sien. Selon une formulation de Sen, la capabilité d’une personne « représente les diverses combinaisons de fonctionnements (états et actions) que la personne peut accomplir » [20]. La capabilité est une forme de liberté : elle implique suffisamment de trajectoires accessibles pour tout le monde. Elle suppose également l’égalité : que chaque personne puisse bénéficier de ce choix en contexte. Selon Nussbaum, on peut alors définir des capabilités fondamentales ou centrales dont l’absence met en danger la vie humaine : « certaines fonctions sont particulièrement fondamentales dans la vie humaine, au sens où leur présence ou leur absence est généralement comprise comme une marque de la présence ou de l’absence de vie humaine » [21]. Martha Nussbaum en dénombre dix : 1/la vie, 2/la santé du corps, 3/l’intégrité du corps, 4/les sens, l’imagination et la pensée, 5/les émotions, 6/la raison pratique, 7/l’affiliation, 8/les autres espèces (animaux, plantes et nature), 9/le jeu, 10/le contrôle sur son environnement. Il s’agit bien de définir un ensemble de possibilités que les individus peuvent décider d’exercer ou non [22]. Ils ont ainsi la possibilité de se construire eux-mêmes, d’investir leurs désirs de manière pluraliste. La société se donne pour tâche de soutenir l’expression de ces capabilités. Toute vie est digne d’un soutien élémentaire ; les déficits de capabilité sont constitués par des opportunités qui ne s’offrent pas aux individus. La pauvreté et les inégalités qui en découlent ne sauraient donc être ramenées uniquement à la question du revenu. Elles concernent bien plus les possibilités d’emploi, de santé, de participation politique, etc. qui ne sont pas ouvertes.
Les politiques publiques doivent alors prendre en compte des capacités à rapporter aux personnes individuelles en vue de leur permettre de mener une vie digne d’être vécue. L’essentiel pour Martha Nussbaum réside dans le fait que la théorie des capabilités rejoint des approches de la transformation de la société par les droits. Le rôle politique des capabilités tient au fait qu’elles puissent se déployer à travers des institutions comme des droits qui seraient totalement efficients et toujours adaptés à la réalité sociale ou culturelle d’un pays. Les choix ou les préférences des individus sont échafaudés par les lois et les politiques publiques qui les gouvernent [23]. Garantir les capabilités centrales revient à les reconnaître comme des sortes de droits des individus au nom de la justice sociale : « Les dix capabilités sont donc des objectifs, qui réalisent ou expriment les droits prépolitiques des individus : on dira donc des individus qu’ils ont droit aux dix capabilités de la liste » [24]. En les définissant comme des objectifs, Nussbaum pose leur caractère politiquement normatif. Chacune de ces dix orientations concrètes des vies humaines doit faire partie des programmes politiques de tous les pays du monde avec des variations, des seuils, des mises en avant particulières de telle capabilité, etc.
La théorie des capabilités permet de faire de la justice sociale un horizon pour tous les types de pays dans le monde. La théorie des capabilités est ainsi une nouvelle manière d’envisager le libéralisme politique contre le néolibéralisme, ce dernier déployant des politiques qui font de la société un lieu de mise en concurrence et de conflit au nom d’une conception de la responsabilité individuelle et de la rentabilité qui justifie les inégalités. Comment, alors, recréer un monde commun dont le moteur serait l’égalité dans le respect de la liberté des personnes ? Une théorie de l’égalité ne peut pas être abstraite. Égalité mais égalité de quoi ? prévient Amartya Sen [25]. L’égalité des personnes devant l’éducation, la santé, le logement, le travail ou la participation politique. L’égalité est l’égalité devant quelque chose ; ce n’est pas l’égalitarisme avec tout ce qu’il peut porter de négation des récits singuliers. Selon Nussbaum, une telle théorie de la justice sociale ne tient pas dans un édifice abstrait inventant une communauté parfaitement juste mais elle peut promouvoir, grâce aux capabilités, des possibilités de vie, des horizons sociaux qui éliminent les contextes défavorables. Les injustices sont ainsi à combattre selon des seuils qui, pour Martha Nussbaum, renvoient à la possibilité d’une vie décente ou digne. La question, par exemple, n’est pas tant celle du droit au logement pour tous que le fait que tout humain puisse vivre dans un logement décent, ce qui suppose de définir concrètement ce qu’est un logement convenable. L’égalité se pense à travers l’égale dignité des êtres humains en quête de reconnaissance de cette dignité [26].
Quelle démocratie ?
Une réflexion philosophique ne tient pas seulement dans un mode d’argumentation logique ou dans la connaissance des faits mais dans la manière dont est pensée la place des autres :
« La logique ou la connaissance formelle seules ne suffisent pas à mettre les citoyens en rapport avec le monde complexe qui les entoure. Une troisième capacité du citoyen, étroitement liée aux deux premières, est ce qu’on peut appeler l’imagination narrative. J’entends par là la capacité à imaginer l’effet que cela fait d’être à la place d’un autre, à interpréter intelligemment l’histoire de cette personne, à comprendre les émotions, les souhaits et les désirs qu’elle peut avoir » [27].
La place des autres
Selon Nussbaum, la capacité d’empathie avec autrui ou d’attention à l’autre est un aspect essentiel de la vie en société ; elle doit même être développée, préservée à partir des liens qui se développent dès l’enfance. Chez le petit enfant, voir un autre être humain s’apprend ; c’est le fruit d’un effort pour dépasser une incapacité initiale à distinguer entre soi et autrui, son corps et les autres corps ou les objets. La capacité d’attention à autrui suppose, d’une part, de n’avoir pas besoin d’asservir les autres, et, d’autre part, d’accepter l’interdépendance à la différence d’une volonté de maîtrise totale du monde. Comme le rappelle Martha Nussbaum, Winnicott a laissé des analyses importantes sur l’avancée du processus de développement des enfants. Si les relations avec les proches se passent suffisamment bien, si l’attachement se fait de manière satisfaisante hors d’un climat de violence ou d’indifférence, l’attention éthique à autrui devient une réalité pour l’enfant. Dans ce cadre, le jeu a d’ailleurs un rôle essentiel. C’est un type d’activité qui construit du lien entre les individus par la fabrication de ce que Winnicott appelle un « espace potentiel » [28]. Le jeu est une clé essentielle dans la croissance personnelle car il permet d’accepter un rapport à l’autre qui passe par la surprise et la vulnérabilité mais de telle sorte que l’imagination compense toujours la confrontation avec l’autre [29]. Le jeu est bien une manière de rappeler qu’être humain implique d’avoir une vie à mener avec des interactions plus ou moins attendues, des moments de vulnérabilités et des émotions partageables. Cette vie à mener peut prendre un sens éthique qui permet de considérer l’autre dans un espace commun : « les gens peuvent se fermer, oubliant le monde intérieur des autres, ou ils peuvent préserver et continuer à développer la capacité à doter les autres, par l’imagination, d’une vie intérieure » [30]. Le jeu permet de pratiquer cette capacité à se projeter dans la vie des autres par l’imagination contre toutes les formes de repli sur soi.
L’humain est fondamentalement vulnérable
Martha Nussbaum, à partir de Frontiers of Justice, se situe plus expressément dans la perspective d’un infléchissement du libéralisme au nom de la dépendance. On peut dire qu’elle rejoint le point de vue de Richard Sennett exprimé dans une phrase de Respect [31] devenue célèbre : « La dignité de la dépendance n’est jamais apparue au libéralisme comme un projet politique valable ». D’une manière similaire, Frontiers of Justice se propose d’infléchir la conception libérale de la justice selon Rawls, trop abstraite, rigidifiée par une tradition politique, celle du contrat social, qui ne conçoit les individus que « libres, égaux et indépendants ». Certes, le libéralisme politique a pu constituer comme un corps de doctrine soucieux d’élaborer des similitudes entre les hommes contre toutes les formes de subordination ou de sujétion. Cependant, il a fait silence sur un certain nombre de données individuelles particularisantes qui, aujourd’hui, mettent en péril sa conception de la justice sociale. Selon Martha Nussbaum : « De telles théories ne laissent aucune place à ceux qui, pour de longues périodes de leur vie, ou même durant toute leur vie, sont sensiblement inégaux dans leur contribution à la productivité ou engagés dans des vies asymétriques à cause de leur condition de dépendance » [32].
La tâche philosophique consiste donc à réélaborer la théorie de Rawls dans la mesure où la théorie du contrat développée dans la Théorie de la justice fabrique une « normalité » qui impose des marges et crée des situations infra-politiques qui sont autant d’obstacles à la justice sociale : « rendre justice aux gens atteints de handicaps physiques ou mentaux », « étendre la justice à tous les citoyens du monde », « affronter les problèmes de justice impliqués dans la manière dont nous traitons tous les animaux non humains » [33], toutes ces prises en compte ne relèvent pas de la charité ou de la compassion mais de la justice, ce que la définition libérale du sujet de droit empêche de considérer. La dépendance définit toujours la condition humaine à un moment ou un autre de la vie. La justice doit porter en elle la référence à un « prendre soin » des autres, quand ils sont dépendants, selon l’idée que le traitement de la dépendance sollicite la capacité à agir de celles et de ceux qui sont objets de soin. Martha Nussbaum rejoint des préoccupations et des manières de penser la politique proche de l’éthique du care. En particulier, elle discute les travaux d’Eva Feder Kittay sur la dépendance, travaux enracinés comme les siens dans une lecture de Rawls [34].
De la vulnérabilité aux émotions
Plus encore, du point de vue d’une anthropologie philosophique, Martha Nussbaum est fascinée par le concept de « vulnérabilité ». Dès The Fragility of Goodness, elle prend en compte cette notion de vulnérabilité et pose, à partir d’une lecture d’Aristote, le problème de la rationalité. L’être humain est à la fois actif et perméable aux événements qui se déploient dans le monde par l’intermédiaire de l’émotion. Comment concevoir la rationalité qui se constitue dans l’action sans rendre les êtres humains trop éminemment vulnérables ? Mais Martha Nussbaum s’avance par-delà l’histoire de la philosophie. La vulnérabilité est plus une donnée du présent dans la mesure où elle apparaît au cœur de préoccupations démocratiques qui récusent tout ordre transcendant de la souveraineté : « L’égalité démocratique entraîne la vulnérabilité » [35]. En effet, les normes du comportement démocratique supposent une conception de l’éducation et du développement humain largement investie par une construction du lien social qui permette des expériences personnelles ouvertes au monde et aux autres, sur le mode d’une interdépendance assumée.
En particulier, l’autre est appréhendé à travers une relation interpersonnelle où le moi fait l’expérience de son ouverture et de sa vulnérabilité à partir de ce qui est accompli dans des activités comme le jeu. Il cultive des relations que ses capacités imaginatives et émotionnelles nourrissent. Il est alors nécessaire, pour la philosophe, de prendre l’imagination au sérieux et de ne pas la limiter comme le fit Descartes au statut de « folle du logis ». De la même manière, les émotions ne consistent pas seulement en une sensibilité à fleur de peau, sans profondeur et sans discursivité. L’émotion est un rapport au monde, une interprétation de ce monde et une certaine manière de percevoir les objets : « Les émotions impliquent des jugements à propos de choses importantes, jugements dans lesquels, estimant un objet extérieur comme important pour notre propre bien-être, nous reconnaissons notre propre état de besoin et notre incomplétude devant des parties du monde que nous ne contrôlons pas entièrement » [36]. Dans l’émotion, la pensée se fabrique sur le mode d’une estimation du monde extérieur. Les émotions permettent aux êtres humains de ne pas s’enfermer dans une rationalité abstraite qui pouvait mener, déjà chez les Grecs anciens, à la soumission aux aléas de la fortune. Elles participent pleinement au projet philosophique de Nussbaum, une réévaluation de l’activité sous toutes ses formes avec une humanité fondamentalement vulnérable ; on ne désire, on ne choisit, on ne veut, on ne préfère que dans le cadre d’une ouverture au monde et aux autres qui est aussi une fragilisation de soi-même. L’étymologie du terme de « vulnérabilité » renvoie au latin vulnerabilis, « qui peut être blessé », au propre et au figuré. L’être blessé est un être empêché, frappé ou touché de l’extérieur. S’ouvrir au monde et aux autres, c’est assumer une vulnérabilité qui implique la confrontation, les empêchements, les modifications du désir ou de la volonté initiale. L’autonomie se fabrique de manière complexe et non linéaire à cause même de la vulnérabilité.
Finalement, l’œuvre de Martha Nussbaum aboutit à une vision de l’avenir, à partir de la conception de la vulnérabilité, et de ce qu’elle peut impliquer quant au lien normatif avec autrui. Ainsi, peut-elle écrire au sujet de la sympathie dans Les émotions démocratiques :
« Le développement de cette sympathie se trouve au cœur des meilleurs projets modernes d’éducation démocratique, en Occident et ailleurs. Un tel développement doit, pour une bonne part, avoir lieu en famille. Mais l’école et même l’université jouent également un rôle important. Pour qu’elles l’assument convenablement, elles doivent accorder une place centrale aux humanités et aux arts, et cultiver un type d’éducation participatif qui éveille et affine la capacité à voir le monde à travers les yeux d’autrui » [37].
Le développement, par l’éducation, de la capacité de voir le monde à travers les yeux d’autrui, souligne l’importance, dès l’enfance, des expériences de l’altérité qui apprennent, sur le mode du conflit dans certains cas, la valeur de la relation aux autres. Dans cette perspective, qui vaut comme un respect des différences en démocratie au nom des valeurs de liberté et d’égalité, les humanités et les arts sont formateurs. Pourtant, ils sont oubliés aujourd’hui dans les parcours d’enseignement car considérés comme non utiles dans des sociétés de marché structurées par la rentabilité. Ces disciplines permettent d’envisager des comportements qui privilégient la participation à la démocratie sur le mode de la critique. Or, le participant critique est nécessaire à la vitalité démocratique [38]. Il donne un contenu et une vérité à la possibilité même de la transformation politique ou sociale. En particulier, l’imagination, que les arts et les humanités cultivent, invite à considérer le monde sous des aspects nouveaux. Elle participe pleinement à une vision de la justice sociale. Il semble que dans Les émotions démocratiques, l’intérêt de Martha Nussbaum pour la mise en œuvre d’une véritable politique de la participation en démocratie prend corps. En s’inspirant de Martha Nussbaum, mais en allant dans une direction qu’elle n’a pas forcément exprimé directement, on peut se demander si la démocratie participative pensée comme un complément nécessaire de la démocratie représentative n’est pas la seule manière de rendre la société plus juste, de faire surgir des problèmes et des revendications que les partis politiques ne peuvent pas eux-mêmes rendre publics. Comme elle l’écrit, la puissance d’être et d’agir de nombreux individus dans les régimes démocratiques, est largement négligée alors qu’elle pourrait renforcer ces régimes : « Les démocraties de par le monde sous-évaluent et négligent des capacités dont nous avons un besoin urgent pour maintenir la démocratie vivante, respectable et responsable » [39]. Les arts et les humanités appartiennent au projet d’un développement humain le plus large possible, ce qui sous-entend le déploiement de la capacité des individus à prendre part à la vie publique de leur pays.
Ne pourrait-on pas aller un pas plus loin et affirmer que Martha Nussbaum conçoit la vie démocratique dans le cadre d’un déploiement de l’esprit critique, au nom de la constitution et du maintien d’un collectif acquis à différentes formes de participation ? La littérature trouve alors une place magistrale comme ce qui introduit du dérangement et de la distance dans le fonctionnement habituel de l’ordre social. Evoquer le rôle éthique de la littérature comme Martha Nussbaum aime le faire revient à la penser comme une instance réflexive à même de rendre les êtres humains meilleurs par la possibilité qu’elle leur donne de se projeter dans d’autres vies, de se trouver des modèles et des contre-modèles dans les livres. La littérature ne vaut-elle pas comme l’une des manières de pratiquer la critique sociale au nom d’une transformation politique de la mondialisation ?