La politique de dédoublement des CP et CE1 de l’éducation prioritaire a exercé des effets modérés, voire nuls, sur la progression scolaire des élèves. Une autre limite de cette politique tient au fait qu’elle concerne moins de 15 % des élèves en difficulté scolaire scolarisés à l’école élémentaire.
Au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron, le système éducatif a connu des transformations profondes avec les réformes du lycée et du baccalauréat, la mise en place de Parcoursup (Bodin, Orange, 2019 ; Frouillou et alli, 2020 ; Tiberj, 2021), le bouleversement de la formation des maîtres (Merle, 2019), la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire, etc.
Plusieurs bilans sont déjà disponibles tel celui réalisé par l’Institut Montaigne (Institut Montaigne, 2021). Son intérêt est limité. Il reprend souvent les évaluations élogieuses réalisées par le ministère lui-même. Certains bilans ont une approche strictement quantitative. Ainsi, l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille a réalisé un Macromètre. Cette exhaustivité a l’intérêt de montrer la part des promesses tenues. Toutefois, la question centrale n’est pas seulement de savoir si les promesses ont été tenues, mais d’analyser leurs effets.
Il en est ainsi de la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 en REP (Réseau d’Éducation Prioritaire) et REP+, promesse électorale du président Macron mise en œuvre dès la rentrée scolaire 2017. Cette politique éducative, considérée dans le discours du ministre Blanquer comme une mesure de justice sociale, voire « la mesure la plus sociale que vous pouvez imaginer », est une forme de discrimination positive, comparable à la politique d’éducation prioritaire mise en place en 1981. L’objectif poursuivi est de « donner plus à ceux qui ont moins », en l’occurrence aux écoliers, souvent d’origine populaire et en difficulté scolaire, scolarisés dans les classes des REP et REP+. Quel est le bilan de cette politique éducative ? Est-il pertinent de la poursuivre ?
Une politique de dédoublement a priori favorable aux progressions scolaires des élèves
La politique de réduction de la taille des classes n’est nullement novatrice. Cette politique éducative a fait l’objet de plusieurs expérimentations, par exemple aux États-Unis avec le projet STAR (Krueger, 1999) et, en France, avec la mise en place des « CP à effectif réduit » (DEPP, 2005). Les chercheurs français se sont particulièrement intéressés à cette politique scolaire et plusieurs analyses sont disponibles (Meuret, 2001 ; Monso, 2004 ; Piketty et Valdenaire 2006 ; Bourgen, Grenet, Gurgand, 2017). Bien que des divergences puissent exister entre les recherches, trois conclusions principales peuvent être dégagées.
D’une part, cette politique est d’autant plus efficace que la réduction de la taille des classes est importante. En France, jusqu’en 2017, dans les réseaux d’éducation prioritaire, la réduction des effectifs a été limitée au mieux à deux élèves en moins par classe (cf. tableau 1). Cette réduction est trop limitée pour favoriser la progression des élèves faibles. D’autre part, cette politique est d’autant plus efficace qu’elle concerne les élèves de l’école élémentaire. L’efficacité de cette politique est réduite en collège, et généralement sans effet au niveau des lycées. Enfin, cette politique de réduction de la taille des classes exerce des effets d’autant plus positifs qu’elle s’adresse aux élèves en difficulté scolaire. Les meilleurs élèves ne profitent guère de la réduction de la taille des classes.
Compte tenu des résultats de la littérature scientifique, la promesse d’Emmanuel Macron de 2017 de diviser par deux les effectifs des CP et CE1 de l’éducation prioritaire était a priori tout à fait pertinente. De surcroît, la mise en œuvre de cette politique a été particulièrement rapide. Dès la rentrée scolaire de septembre 2017, 2 200 classes de CP de REP+ ont été dédoublées. Dans les CP des REP+, l’effectif moyen est passé de 21,6 élèves par classe en 2016 à 13,1 dès 2017. Dès 2019, les réductions d’effectifs par classe ont été du même ordre en CP et CE1 en REP+ et REP (cf. tableau 1).
Cette politique de dédoublement a été menée plus tardivement en Grande Section (GS) des maternelles de l’éducation prioritaire. Le nombre moyen d’élèves scolarisés en GS est passé de 23,2 élèves par classe en 2018 à 15,1 en 2021 en REP+. En REP, l’effectif moyen des GS demeure élevé (18,6) (cf. tableau 1). En raison d’une politique de dédoublement des classes non encore terminée dans les grandes sections de l’éducation prioritaire, l’analyse est centrée sur la politique de dédoublement mise en place à l’école élémentaire dans les classes de CP et CE1.
Lecture : En 2021, en REP+, en CP, le nombre moyen d’élèves par classe est de 12,5
Les moyens supplémentaires mobilisés par cette réforme ont été limités
La politique de dédoublement, a priori efficace pour réduire les difficultés scolaires des élèves, a été mise en œuvre de façon économique. Elle a sollicité un minimum de ressources nouvelles. Pour une bonne part, la réduction considérable des effectifs des classes de l’éducation prioritaire a été permise grâce à une conjoncture démographique particulièrement favorable. De 2016 à 2019 compris, le nombre d’écoliers a baissé de 103 000 (RERS, 2021). En raison d’un nombre moyen d’élèves par classe de 23,3 en 2017 (Note d’information, 02, 2022), cette baisse du nombre d’écoliers aurait dû entraîner la fermeture de 4420 classes (103 000 divisé par 23,3).
Lorsque le ministère annonce que la réduction du nombre d’élèves par classe dans les écoles de l’éducation prioritaire a entraîné la création de 10 800 classes, il entretient une relation imprécise avec la réalité statistique. Au lieu de fermer 4420 classes, le ministre a maintenu celles-ci ouvertes. Pour mener à bien cette politique de dédoublement, la politique précédente de « plus de maîtres que de classes » de la ministre Vallaud-Belkacem a été supprimée. Les professeurs des écoles nommés en surnombre dans une école pour prendre en charge les élèves en difficulté scolaire ont été redéployés dans la politique de dédoublement des classes. Finalement, entre 2016 et 2019, les statistiques ministérielles indiquent une création nette de classes de seulement 5186 (RERS, 2021).
Il était donc nécessaire de créer des postes en école élémentaire. Mais, plutôt que des créations nettes, le ministère a fait le choix de supprimer plus de 3000 postes de l’enseignement secondaire de 2018 (dernier budget de la présidence Hollande) à 2020 (RERS, 2021). Finalement, si cette politique de dédoublement n’a guère sollicité de moyens supplémentaires, elle a eu pour conséquence indirecte de dégrader les conditions d’apprentissage de l’enseignement secondaire. Dans celui-ci, la réduction du nombre de postes a été concomitante d’une augmentation de plus de 100 000 élèves de 2016 à 2020 (RERS, 2021) et a nécessité un recours accru à des personnels vacataires moins qualifiés que les titulaires.
Cette politique de dédoublement des classes a une efficacité limitée
L’efficacité de la politique de dédoublement mise en œuvre dans les classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire a fait l’objet d’une étude de la DEPP (DEPP, 2021). Le principe de la recherche est d’étudier l’évolution des compétences des élèves scolarisés dans trois groupes d’élèves. Le premier est constitué d’élèves de CP et CE1 scolarisés hors éducation prioritaire. Le second groupe est constitué d’élèves de CP et CE1 scolarisés en REP+. Ils bénéficient de la politique de dédoublement des classes. Enfin, le troisième groupe est constitué d’élèves de CP et CE1 scolarisés dans des classes dites « Proches REP+ ». Ces élèves sont d’un niveau scolaire comparable à ceux scolarisés en REP+. Pour ces trois groupes d’élèves (hors Éducation prioritaire, proches REP+, REP+), des évaluations de leurs compétences ont été réalisées en début et en fin de CP et de CE1, à la fois en mathématiques et en français.
L’étude de la progression des compétences scolaires des élèves scolarisés dans les trois groupes repose sur le principe du groupe de référence, en l’occurrence celui constitué par les élèves Proches REP+. Dans celui-ci, les auteurs de l’étude ont calculé le score de compétences, en français et en mathématiques, des 20% des élèves les plus faibles (le premier quintile). Ensuite, les auteurs ont calculé la proportion des élèves de CP et CE1 scolarisés dans les classes dédoublées REP+ et hors éducation prioritaire qui obtiennent un score de compétences égal ou inférieur à celui des 20% des élèves Proches REP+.
En début de CP, en mathématiques, dans les classes hors éducation prioritaire, seulement 12,6 % des élèves ont un score égal ou inférieur à celui des 20% des élèves les plus faibles scolarisés dans les proches REP+. Cette proportion est de 21,4 % pour les élèves scolarisés dans les classes de REP+ dédoublées (cf. figure 1). Ces différents pourcentages montrent, résultats attendus, que la proportion des élèves faibles scolarisés en REP+ (21,4%) est sensiblement plus élevée que celle constatée hors éducation prioritaire (12,5%) ou dans les classes Proche REP+ (20%).
Les données recueillies permettent de connaître, du CP au CE1, l’évolution de la proportion d’élèves faibles dans les CP dédoublées par rapport aux proportions d’élèves faibles scolarisés hors éducation prioritaire et dans les classes proches REP+. Quelles que soient les comparaisons réalisées, les résultats sont convergents. Du début du CP à la fin du CE1, en mathématiques, la proportion d’élèves faibles scolarisés dans les classes dédoublées passe 21,4 % à 15,9 %. (cf. figure 1). Avec cette mesure, en mathématiques, la politique de dédoublement a été efficace.
La même démarche comparative a été menée pour les bons élèves (le 5e quintile) scolarisés dans les classes proches REP+. Alors que les élèves faibles en mathématiques scolarisés dans les REP+ ont bénéficié de la politique de dédoublement, ce bénéfice est limité, voire nul, pour les meilleurs élèves des REP+ (DEPP, 2021, p. 32). Ce résultat est conforme à la littérature relative à l’efficacité des politiques de réduction de la taille des classes. Celle-ci bénéficie essentiellement aux élèves en difficulté scolaire.
Deux conclusions provisoires peuvent être présentées. D’une part, en mathématiques, la politique de dédoublement des classes permet de réduire la proportion d’élèves faibles bénéficiant de cette mesure. D’autre part, le dédoublement des classes est loin de compenser les différences de compétences entre les élèves scolarisés hors de l’éducation prioritaire et les élèves scolarisés dans les REP+ dédoublées. Le phénomène de rattrapage, observé à la fois en CP et CE1, demeure limité.
Lecture : En début de CP, en mathématiques, 21,4 % des élèves scolarisés en REP+ dédoublés ont un niveau de compétences égal ou inférieur aux 20% des élèves les plus faibles scolarisés dans les « Proches REP+ ». Cette proportion d’élèves faibles est de 12,6 % pour les élèves scolarisés hors éducation prioritaire.
Source : DEPP, 2021, Évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes en CP et en CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants, Document de travail, n° 2021.E04 (DEPP, 2021) (graphique de l’auteur).
Les données relatives aux compétences en français des écoliers scolarisés dans les trois groupes étudiés (hors éducation prioritaire, proches REP+, REP+ dédoublés) diffèrent de celles observées en mathématiques. Du début du CP à la fin de celui-ci, la proportion d’élèves faibles scolarisés dans les classes dédoublées est marquée par une légère baisse de 22,4 % à 21,5 % (- 0,9 point). Au niveau du CE1, paradoxalement, cette proportion d’élèves faibles augmente de 21,9 % à 22,3 % (+0,4 point). Cette augmentation indique une absence d’efficacité de la politique de dédoublement au niveau du CE1 dans les apprentissages en français (cf. figure 2).
Les données relatives aux évolutions de compétences scolaires des bons élèves (5e quintile) en français scolarisés dans les trois groupes étudiés sont comparables à celles constatées pour les élèves faibles. Si le dédoublement des REP+ favorise une légère augmentation de la proportion des bons élèves au cours de l’année de CP, l’année de CE1 se caractérise par une légère baisse de celle-ci (DEPP, 2021, p. 32).
Lecture : En début de CP, en français, 22,4 % des élèves scolarisés en REP+ dédoublés ont un niveau de compétences égal ou inférieure aux 20% des élèves les plus faibles scolarisés dans les « Proches REP+ ». Cette proportion d’élèves faibles est de 11,4 % pour les élèves scolarisés hors éducation prioritaire.
Source : DEPP, 2021, Évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes en CP et en CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants, Document de travail, n° 2021.E04 (DEPP, 2021) (graphique de l’auteur).
Une modélisation économétrique réalisée par les auteurs de la recherche permet de montrer que les garçons et les élèves en retard, surreprésentés dans les REP+ dédoublés, progressent moins que les autres élèves (DEPP, 2021, p. 34). En neutralisant l’effet de ces variables, c’est-à-dire en calculant les performances scolaires d’une classe fictive de REP+ dédoublés n’ayant pas plus d’élèves en retard et de garçons que les classes des proches REP+, les auteurs montrent, au cours du CP, un effet positif et significatif du dédoublement sur les apprentissages scolaires des élèves des classes dédoublées REP+ par rapport aux élèves Proches REP+. Par contre, au niveau du CE1, les différences de progression entre les élèves de REP+ dédoublés et Proches REP+ ne sont pas significatives (DEPP, 2021, p. 34 et 37).
Si le raisonnement économétrique « toutes choses égales par ailleurs » a le mérite de montrer, en neutralisant les variables sexe et retard scolaire, l’efficacité de la politique de dédoublement, ce résultat n’est pas plus pertinent que les analyses descriptives précédemment présentées (cf. figures 1 et 2). En l’occurrence, les classes de CP et CE1 dédoublées se caractérisent par une proportion plus importante de garçons et d’élèves redoublants et ces caractéristiques contribuent à expliquer pourquoi les compétences en français des élèves faibles scolarisés en CPREP+ progressent faiblement au cours du CP et ne progressent pas dans les classes de CE1 des REP+ (cf. figure 2).
Dans leur synthèse des évolutions constatées en mathématiques et en français, les auteurs formulent une conclusion prudente : « La réduction de la taille des classes en REP+ semble avoir eu un effet sur leur progression en français et en mathématiques » (DEEP, 2021, p. 43). Les auteurs considèrent qu’entre le début de CP et la fin de CE1, même s’il existe des progressions différenciées dans les apprentissages, essentiellement en mathématiques, les évolutions sont plutôt parallèles entre les trois groupes d’élèves. Cette formulation indique un effet limité de la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire sur les progressions scolaires.
Des pratiques pédagogiques pas toujours adaptées
L’efficacité limitée de la politique de dédoublement des classes des CP et CE1 de l’éducation prioritaire pose la question des pratiques pédagogiques des enseignants. Le rapport de la DEPP indique que la quasi-totalité de ceux-ci est d’accord avec la proposition selon laquelle « c’est lorsque les élèves résolvent eux-mêmes des problèmes qu’ils apprennent le mieux ». Cette proposition correspond à une des définitions de la « pédagogie de la découverte », méthode constructiviste et inductive d’enseignement s’appuyant sur les essais, erreurs et tâtonnements de l’élève lors de la construction de ses apprentissages. Par contre, seulement un enseignant de CP sur deux est d’accord avec l’idée, caractéristique de la pédagogie explicite, selon laquelle « en début d’apprentissage, il est important de guider fortement les élèves pour leur permettre de réussir les tâches proposées ». Le rapport de la DEPP réalise un état des lieux de ces différences de « convictions pédagogiques » des professeurs des écoles sans les relier directement à l’efficacité limitée de la politique de dédoublement des classes.
Pourtant, si les pédagogies constructiviste versus explicite sont parfois susceptibles de se compléter, elles se concurrencent aussi. Ces deux pratiques pédagogiques exercent des effets différenciés sur les progressions scolaires des élèves. Une synthèse de 11 méta-analyses fondées sur 362 recherches publiées entre 1963 et 2006 et impliquant plus de 30 000 élèves a montré que la pédagogie explicite s’avère plus efficace que les deux autres pédagogies étudiées, traditionnelle et constructiviste, sur les trois domaines étudiés (connaissances de base acquises, savoir-faire, estime de soi) (Bissonnette et al., 2010). De la même façon, Piquée (2010) a montré que les aides de nature explicative, centrées sur les savoir-faire à mettre en œuvre, sont plus favorables aux progrès scolaires que les aides de nature réflexive qui renvoient l’élève aux notions à utiliser.
À l’école élémentaire, la préférence professorale pour une pédagogie constructiviste est susceptible d’expliquer l’efficacité limitée de la politique de dédoublement des classes. Elle peut aussi expliquer l’absence d’efficacité du dédoublement des classes en CE1. Dans celles-ci, seuls 25 % des enseignants des REP+ dédoublés sont d’accord avec la proposition selon laquelle « les bons enseignants montrent la bonne façon de résoudre un problème », autre énoncé caractéristique de la pédagogie explicite [1].
Le nombre d’élèves en difficulté scolaire concernés par le dédoublement est réduit
Une question centrale, non abordée dans l’étude de la DEPP précitée, est de déterminer le nombre d’élèves concernés par cette politique de dédoublement. En 2020, 691 000 écoliers sont scolarisés dans les classes élémentaires de l’éducation prioritaire (Note d’information, 02, 2022). Cette politique de dédoublement étant limitée aux deux premiers niveaux (CP et CE1) des cinq qui constituent l’école élémentaire, le nombre d’élèves concernés est approximativement de 276 400 (691 000*2/5) soit 4,2 % des effectifs du premier degré (écoles maternelles et élémentaires réunies), 6,6 % des effectifs de l’école élémentaire, et 7,7% des effectifs de l’école élémentaire publique (RERS, 2021) [2].
L’efficacité de la politique de dédoublement a la caractéristique d’être, au mieux, profitable aux seuls élèves en difficulté scolaire (cf. ci-dessus). Or, ces élèves en difficultés scolaires ne sont pas seulement scolarisés dans les classes de l’éducation prioritaire. Il est donc essentiel de comparer le nombre d’élèves en difficulté scolaire bénéficiant de la politique de dédoublement au nombre total des élèves en difficulté. Ceux-ci sont scolarisés, d’une part dans les classes non dédoublées de l’éducation prioritaire (CE2, CM1, CM2) et, d’autre part, scolarisés hors de l’éducation prioritaire.
Le ministère procède régulièrement à une évaluation du niveau de compétences des élèves. Les évaluations réalisées annuellement en début de CP et CE1, très détaillées, ne font pas l’objet d’une présentation agrégée (Note d’information, 01, 2022). Pour cette raison, elles ne peuvent pas être sollicitées pour évaluer de façon synthétique le niveau de compétences des écoliers. Il en est autrement des évaluations des compétences scolaires réalisées en début de CM1. Des données synthétiques sont présentées selon le secteur de scolarisation des écoliers (secteur privé, secteur public hors éducation prioritaire, secteur public de l’éducation prioritaire) (RERS, 2021, 7.03). Ces données présentent une évaluation des niveaux de compétence des écoliers en précisant, pour chaque secteur de scolarisation, la proportion d’élèves ayant une « maîtrise satisfaisante ». Pour ne pas alourdir la démonstration, seules les données relatives au niveau de compétences des écoliers en français sont retenues. Le résultat serait comparable en prenant en compte le niveau de compétences des écoliers en mathématiques.
Pour chacun des trois secteurs de scolarisation, la statistique ministérielle précise les effectifs des écoliers scolarisés. Ces données permettent une estimation du nombre total d’écoliers ayant un niveau de maîtrise insuffisant en français (le complément de la proportion d’élèves ayant un niveau satisfaisant) compte tenu de la proportion d’élèves ayant une maîtrise insuffisante en CM1. Le nombre d’élèves ayant un niveau insuffisant en français est de 318 000 dans le secteur public de l’éducation prioritaire, 688 000 dans le secteur public hors éducation prioritaire, 67 000 dans le secteur privé. Au total, au niveau de l’école élémentaire, 1 073 000 écoliers ont un niveau de maîtrise insuffisant en français, soit 25,7 % des écoliers (cf. tableau 2). Ces 1 073 000 d’écoliers sont à comparer au nombre d’élèves en difficulté scolarisés dans les classes dédoublées.
Parmi les 276 000 élèves de CP et CE1 scolarisés en éducation prioritaire et bénéficiant de la politique de dédoublement (RERS, 2021), 127 000 peuvent être considérés comme étant en difficulté scolaire (276 000*46%) (cf. tableau 1). Ces 127 000 écoliers ne représentent que 12 % des élèves en difficulté scolarisée dans l’école élémentaire (127 000 / 1 073 000). Telle qu’elle est actuellement mise en œuvre, la politique de dédoublement des classes des CP et CE1 de l’éducation prioritaire délaisse 88 % des élèves en difficulté scolaire scolarisés dans l’école élémentaire. La politique de dédoublement des classes des CP et CE1 de l’éducation prioritaire présente finalement deux lacunes. D’une part, son efficacité est réduite ; d’autre part, elle concerne à peine plus d’un dixième des élèves en difficulté scolaire.
Lecture : En 2020, 89 % des écoliers scolarisés dans le secteur privé ont un niveau de maîtrise satisfaisant
* Proportion d’élèves de CE1 ayant un niveau de maîtrise satisfaisant en français
** Il s’agit d’une estimation calculée à partir de la proportion d’élèves en difficulté scolaire en CE1. Les élèves en difficulté sont définis par la proportion des élèves n’ayant pas un niveau de maîtrise satisfaisant. Dans les analyses plus détaillées, une distinction est réalisée entre les élèves dont le niveau de maîtrise est « fragile » et « insuffisant ».
Conclusion
Le bilan mitigé de la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire soulève plusieurs questions. Premièrement, lors de la mise en œuvre de cette politique, le choix des élèves scolarisés dans les classes de CP de l’éducation prioritaire s’est imposé comme une évidence, tant ce niveau de scolarité est consacré aux premiers apprentissages. Par contre, le choix du CE1 était-il judicieux ? Plusieurs recherches ont montré l’existence d’inégalités du développement langagier des enfants dès leurs premières années. À titre d’exemple, les différences de compétences lexicales selon l’origine sociale des élèves sont sensibles dès l’âge de deux ans (INED, 2018). Le dédoublement des classes de grande section de maternelle n’aurait-il pas été plus pertinent ? Seule une évaluation de cette politique, déjà mise en œuvre dans une partie des classes de grande section, permettrait de savoir, lors des évaluations en début CP, si cette politique de dédoublement est davantage favorable aux progressions scolaires des élèves que le dédoublement des classes de CE1.
Deuxièmement, l’efficacité limitée de la politique de dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire soulève la question du budget de l’école élémentaire française. Celle-ci dispose de moyens sensiblement plus restreints que ceux alloués aux écoles des autres pays de l’OCDE. Le nombre d’élèves par enseignant est de 16,9 au Royaume-Uni, 16,7 aux Pays-Bas, 16,4 au Japon, 15,4 en Allemagne, 15,2 aux États-Unis, 13,7 en Finlande, 13,6 en Espagne, 12,9 en Belgique, 11,7 en Italie. L’école élémentaire française, avec 19,5 élèves par enseignant, se situe très au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (15,2 écoliers par enseignant) (OCDE, 2019).
Dans l’école française, le nombre important d’écoliers par enseignant contribue à expliquer le faible niveau de compétence de ceux-ci aux évaluations internationales TIMSS (Note d’information, 46, 2020). Le budget de l’Éducation nationale a certes augmenté au cours du premier quinquennat du président Macron. Toutefois, la part de la richesse nationale (le PIB), consacrée à l’éducation a baissé de 6,7 % en 2018 à 6,6 % en 2019. À titre de comparaison, en 1995, 7,7 % de la richesse nationale étaient consacrés à l’éducation. Pourquoi l’économie française, deuxième économie européenne, ne pourrait-elle pas dépenser autant que les autres pays de l’Union dans la formation des élèves alors même que l’investissement dans le capital humain est une dimension centrale du développement économique et social ? L’objectif louable de dépenser mieux n’exclut pas la nécessité de dépenser plus.
Enfin, le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+ peut être considéré comme un approfondissement de la politique de l’éducation prioritaire mise en œuvre en 1981. Celle-ci a fait l’objet de nombreux bilans qui n’ont pas montré de progressions significativement plus fortes des élèves scolarisés en éducation prioritaire (Prost, 2012). Cette évaluation est complexe et mériterait d’être nuancée. Toutefois, limiter les politiques d’égalité des chances aux seuls élèves scolarisés dans l’éducation prioritaire est par construction non satisfaisant lorsque moins de 30% des élèves en difficulté scolaire sont scolarisés dans les réseaux d’éducation prioritaire (318000/1073000) (cf. tableau 2). Dans le cadre d’une politique d’égalité des chances, les 70 % restants ne mériteraient-ils pas également une politique autre que des actions de soutien telles que les Coup de Pouce Clé (Goux et al., 2013), les internats d’excellence (Cour des comptes, 2014) ou les Programmes de réussite éducative (Bressoux et alli, 2016) dont la faible efficacité a été montrée ? [3]
Une des alternatives à la politique de l’éducation prioritaire est de favoriser la mixité sociale et scolaire des établissements afin de réduire la ségrégation de l’école française (Felouzis et al, 2007 ; Merle, 2012 ; Ly et Riegert, 2016 ; Merle, 2021). Une politique de mixité sociale et scolaire a le triple avantage de favoriser les élèves les plus faibles grâce à des effets de pairs positifs caractéristiques des classes scolairement et socialement mixtes, de réduire les pratiques de discrimination ethnique, présentes notamment dans les établissements scolaires privés (Du parquet et al., 2014), et de renforcer la cohésion sociale. Mise en place de façon expérimentale lors du quinquennat Hollande, une politique de mixité sociale des collèges a montré son efficacité (Grenet et Souidi, 2021). En 2020, la réforme de l’affelnet parisien a également favorisé la mixité sociale et scolaire (Charousset, Fack, Grenet, 2022 ; Charousset et Grenet, 2022).
Si la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République », dite aussi loi « contre le séparatisme », poursuit effectivement les objectifs qu’elle se fixe, nul doute qu’une politique de mixité sociale et scolaire devrait être une priorité éducative. Elle est un rempart contre le séparatisme et la « sécession des riches » dans les écoles privées (Merle, 2010 ; Fourquet, 2018). Paradoxalement, au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la thématique de la mixité sociale de l’école, antidote possible aux fractures sociales, a été absente des propositions ministérielles. Sans une réflexion spécifique relative à ce hiatus entre les discours et les pratiques, une politique d’égalité des chances risque fort de n’être qu’une promesse sans lendemain.
Pierre Merle, « Le dédoublement des classes de CP et CE1 : quel bilan ? »,
La Vie des idées
, 31 mai 2022.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://booksandideas.net/Le-dedoublement-des-classes-de-CP-et-CE1-quel-bilan
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[1] Paradoxalement, alors que la question des pratiques pédagogiques les plus favorables aux progressions scolaires des élèves mériterait une formation plus approfondie des jeunes professeurs, la récente réforme de la formation des maîtres est marquée par une place croissante des formations « sur le terrain », plus favorables à la reproduction des pratiques, et par une nouvelle organisation du concours marquée par une forme de déprofessionnalisation disciplinaire en raison du remplacement d’un oral académique par une nouvelle épreuve orale dans laquelle le candidat doit montrer « sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire » (Merle, 2019).
[2] Le ministère a annoncé que 300 000 élèves ont été concernés par la politique de dédoublement des classes à la rentrée scolaire 2019. Il s’agit donc d’une estimation arrondie par excès.
[3] Mis en place par le ministre Blanquer, le dispositif Devoirs faits remplit les conditions d’une faible efficacité : volontariat des élèves débouchant sur la présence d’élèves sans difficulté particulière et l’absence d’une partie des élèves en difficulté scolaire, multitude d’intervenants pas forcément qualifiés (assistants d’éducation, volontaires du service civique, membres d’associations d’aides aux élèves), absence de financement spécifique.