La « ville durable » (sustainable city) s’impose aujourd’hui comme un paradigme dominant en matière d’aménagement et d’urbanisme. Les signes ne manquent pas en effet, qui témoignent d’une véritable montée en puissance des enjeux environnementaux dans la fabrique de la ville contemporaine : de la multiplication des labels et normes en matière d’isolation en passant par les impératifs de lutte contre l’étalement urbain, du renouveau de l’agriculture urbaine à la montée en force des paysagistes dans les projets d’urbanisme. Sommée de répondre à des objectifs à la fois locaux (le resserrement urbain, le renforcement de la cohésion sociale, l’amélioration de la qualité de vie) et globaux (la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction de l’« empreinte écologique », la préservation de la biodiversité), la mise en œuvre de la « ville durable » est aujourd’hui inscrite à l’agenda des politiques publiques.
L’expression « ville durable » demeure pourtant passablement confuse et la question de son opérationnalité largement ouverte. Quand certains soulignent que la ville, par son impact à la fois global et local sur l’environnement, est par nature antinomique avec le développement durable, d’autres font au contraire valoir que la ville, parce qu’elle n’est pas seulement prédatrice mais aussi productrice de ressources, est la composante spatiale du développement durable. Le concept de « ville durable » pose en fait toute une série de problèmes à la fois sémantiques et pratiques.
Définie comme une ville totalement ou partiellement autosuffisante, c’est-à-dire une ville capable de satisfaire localement ses besoins sans faire peser ses coûts de développement sur d’autres territoires, la « ville durable » pose tout d’abord le problème de l’articulation entre les logiques propres de son développement et les enjeux environnementaux globaux. Une ville, si elle ne souhaite pas peser négativement sur l’environnement, peut-elle durablement mettre en œuvre une stratégie de mutation « endogène », c’est-à-dire maîtriser l’impact de son extension, privilégier la compacité de son développement, recycler ses flux et équilibrer sa consommation et sa production ? D’une manière générale, comment son « métabolisme » peut-il contribuer à sa durabilité ?
Définie comme une ville équitable, c’est-à-dire une ville qui assure à ses citadins un minimum d’équité dans l’accès au logement, aux services publics ainsi que dans la protection face aux risques, la « ville durable » pose ensuite le problème de l’efficacité sociale des procédures urbanistiques. De quels moyens dispose la puissance publique, notamment à l’échelle locale, pour favoriser l’équité urbaine ? La pluralité et la superposition des échelles d’intervention et des types de pouvoirs (publics et privés), ne constituent-elles pas un obstacle à la mise en œuvre de la « ville équitable » ? De même, les normes, taxes et labels éco-urbains qui se multiplient depuis une dizaine d’années, ne prennent-ils pas le risque de servir de vitrines ou d’écrans captés par quelques acteurs de la ville et réservés à une catégorie de population, et par là même de renforcer les inégalités socio-spatiales ?
Définie comme une ville démocratique, c’est-à-dire une ville qui fait de l’assentiment démocratique une condition nécessaire de son développement, la ville durable pose enfin le problème de l’adéquation entre une démarche globale de long terme d’une part, et les règles classiques de fonctionnement institutionnel et la brièveté des cycles électoraux d’autre part. Les stratégies d’ores et déjà mises en œuvre localement, alliant sensibilisation, concertation, négociation et élaboration collective de scénarii, sont-elles opératoires face à la complexité des problèmes posés par le développement urbain durable ? Si elle ne veut pas être reléguée au rang d’alibi démocratique, de quelle façon la participation publique peut-elle juguler les processus de privatisation de l’espace urbain ou la technocratisation croissante des procédures ?
Après avoir abordé la question de la ville autosuffisante, et avant de s’intéresser à la question de la ville démocratique, La Vie des Idées propose, en partenariat avec Métropolitiques, de revenir sur les enjeux de la ville équitable. À travers des contributions issues de l’économie, de la géographie et du champ des politiques publiques, les questions posées par l’efficacité –notamment locale – des politiques urbaines, le partage de la valeur ajoutée à l’échelle des grandes conurbations urbaines, l’accès équitable au logement ou encore les inégalités territoriales face aux risques, sont autant de prismes et/ou d’échelles à travers lesquels il est possible de réfléchir aux conditions d’un modèle de développement urbain équitable.
Sommaire :
– Saskia Sassen, « Mégarégions et villes durables », La Vie des idées.
– « L’équité urbaine : un choix politique », par Claude Dilain, Stéphane Füzesséry & Nathalie Roseau, Métropolitiques.
– Vincent Renard, « Les défis du logement équitable. Entretien avec Vincent Renard », par Nathalie Roseau et Stéphane Füzesséry, La Vie des idées.
– « Comment favoriser l’équité territoriale face aux risques ? », par Valérie November, Métropolitiques.
Pour citer cet article :
Stéphane Füzesséry & Nathalie Roseau, « La ville équitable »,
La Vie des idées
, 2 mai 2012.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://booksandideas.net/La-ville-equitable
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