Recensé :
Seth Wikas, “Battling the Lion of Damascus Syria’s Domestic Opposition and the Asad Regime”, Policy Focus n° 69, The Washington Institute for Near East Policy mai 2007, 32 p.
L’auteur, Seth Wikas, un chercheur américain spécialiste du Proche-Orient, opère d’abord un bref retour sur l’histoire de l’opposition syrienne à partir du coup d’Etat baasiste de 1963. Ce faisant, il insiste surtout sur la confrontation entre Hafez al-Assad – au pouvoir entre 1970 et 2000, l’année de sa mort – et l’opposition religieuse incarnée par les Frères musulmans, présents en Syrie dès les années 1930. Cette confrontation culmine dans le bain de sang de Hama en 1982, ville symbole de l’influence des Frères, rasée à moitié dans une opération qui fait entre 15 000 et 20 000 victimes. Depuis, l’appartenance à la confrérie est passible de peine de mort. Le mouvement disparaît de la surface de la vie politique, ses chefs s’exilent en Europe, tandis que le régime baasiste, surtout depuis 2000, encourage la religiosité en espérant ainsi canaliser le potentiel d’opposition politique.
Mais l’essentiel de l’analyse est consacré à la période très récente. Son intérêt réside dans le compte-rendu détaillé de la reprise en main par le régime des tentatives d’ouverture qui ont suivi l’arrivée au pouvoir de Bachar al-Assad. En effet, l’accession à la présidence de la République syrienne du second fils de feu le président Hafez, en juillet 2000, avait suscité un certain espoir dans les milieux hostiles au pouvoir baasiste. Cet espoir s’est traduit par l’émergence de mouvements idéologiques et politiques divers et la multiplication, au cours de l’été, de forums de discussion dans les grandes villes syriennes. Une première déclaration commune des opposants au régime, la « Déclaration des 99 » rendue publique en septembre 2000, a été suivie en 2001 par la « Déclaration des 1000 », qui se présentait davantage comme un agenda de réforme. Cette deuxième déclaration suscita une vague de répression et la fermeture des forums [1]. Dès lors, ce mouvement multiforme qui se proposait d’accompagner un changement politique se constitue en force d’opposition. Malgré la répression, la « Déclaration de Damas pour le changement démocratique national » est publiée en octobre 2005. L’originalité et la force de cette initiative résident dans le fait qu’elle parvient à fédérer cinq groupes politiques – contrairement aux initiatives antérieures qui n’engageaient que des individus – et à recouper l’ensemble du champ de l’opposition syrienne, des Frères musulmans [2] jusqu’aux principaux partis kurdes syriens. Cette déclaration dessine le fonctionnement démocratique d’une Syrie à venir et désigne le régime actuel comme responsable des maux du pays. En réunissant des personnalités et des partis interdits et en s’attaquant aux tabous du régime, l’opposition franchit de nombreuses lignes rouges ; une nouvelle étape sera franchie par la publication, en mai 2006, de la « Déclaration Beyrouth-Damas », un document en dix points dans lequel, un an après l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri et le retrait des troupes syriennes du Liban, la politique syrienne au pays du cèdre est vivement critiquée. La répression – sous forme d’arrestations et de procès arbitraires – fait alors rage dans les rangs d’une opposition déjà privée de ses principales figures.
Pour nuancer ce sombre tableau d’une opposition affaiblie, divisée et réprimée, Seth Wikas indique en conclusion que, aussi faible soit-elle, l’opposition a réussi à ébranler certains canons de la politique syrienne – par exemple, en mettant en cause le monopole politique du parti Baas ou la politique syrienne au Liban – et à briser le mur de la peur malgré la répression dont ses activistes font l’objet. Malgré la faible représentativité de l’opposition dans un pays où la population est jeune et dépolitisée, ses divisions internes, son isolement, son manque de moyens, l’auteur adhère à l’idée selon laquelle une « majorité silencieuse » rejetterait le régime, ce dont attesterait, par exemple, la très faible participation aux élections législatives d’avril 2007 ou au référendum présidentiel du mois suivant (reconduction de Bachar al-Assad pour un nouveau septennat). L’auteur conseille donc, de façon classique, d’isoler le régime et de faire jouer les pressions externes. Il souligne aussi le temps perdu et les occasions manquées par les Etats-Unis, et fustige la médiocrité des diplomates américains sur place et leurs erreurs de stratégie, par exemple leur choix de médiatiser à outrance les programmes de soutien à la société civile syrienne, conduisant nombre de ses activistes à décliner toute aide américaine pour ne pas être considéré comme traître et « agent de l’étranger ». Si elle souhaite soutenir réellement cette opposition fragile, conclut Wikas, l’administration américaine doit coopérer plus étroitement avec l’Union européenne pour compenser ainsi le déficit de confiance dont elle souffre du fait de sa politique dans la région.
Tout en se distinguant d’une ligne pro-interventionniste, cette étude reproduit cependant à bien des égards le cadre d’analyse général de la politique américaine au Moyen-Orient. D’une part, elle privilégie un interlocuteur, l’opposition « séculière », groupe à la fois plus présentable pour le Département d’Etat américain et plus facilement accessible pour l’étranger qui enquête que l’opposition religieuse par exemple. En ce qui concerne l’opposition religieuse, on ne peut que regretter la part congrue qui lui est consacrée dans l’analyse, d’autant qu’elle se limite à celle de ses ‘représentants’ politiques connus – les Frères musulmans en exil – et ignore tout des transformations en cours de l’encadrement et de la pratique au sein de la société. Ce traitement superficiel est une critique qui peut être étendue à la description de l’opposition kurde syrienne, minorité opprimée dont les revendications identitaires et territoriales sont historiques. Ces trois catégories d’opposition (séculaire, religieuse, kurde) - dont il est évidemment difficile d’évaluer sérieusement la représentativité dans le contexte syrien - sont donc trop caricaturales pour rendre compte de la réalité du champ de l’opposition, de ses dynamiques, de ses zones de recouvrement. D’autre part, à cette vision restreinte s’ajoute une appréhension tout aussi schématique de la société syrienne.
A cette vision caricaturale de trois oppositions aux frontières étanches (séculaire, religieuse, kurde) s’ajoute une appréhension tout aussi schématique de la société syrienne. Seth Wikras reproduit une analyse éculée d’une société syrienne qui serait constituée de groupes homogènes, confessionnels et/ou constitués autour d’intérêts structurés et fédérateurs, entités immuables et inaccessibles au changement. Or, le jeu politique syrien est incompréhensible en dehors des dynamiques culturelles et sociales d’une société qui, sous le double effet de l’ouverture économique et des conflits régionaux, a connu de profondes mutations depuis le début de la décennie. Certes, il faut soutenir les femmes et les hommes qui se battent pour la démocratie, mais on ne saurait trop se méfier des risques induits par une caractérisation trop simple des forces politiques et sociales à l’œuvre. Pour mieux apprécier celles-ci, les décideurs américains auraient tout intérêt à se pencher sur les travaux universitaires récemment publiés sur ce pays mal connu, et dont cette revue va prochainement rendre compte [3].
Pour citer cet article :
Leïla Vignal, « L’opposition politique en Syrie »,
La Vie des idées
, 14 novembre 2007.
ISSN : 2105-3030.
URL : https://booksandideas.net/La-diplomatie-americaine-en-Syrie
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