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Agressé par la réalité – encore et toujours : La Guerre d’Irak comme philosophie de l’histoire


par Michael C. Behrent , le 24 décembre 2007


Et si le néoconservatisme était la version américaine d’un libéralisme ayant succombé à la religion séculière de l’utopisme ? Telle est la thèse – très discutable mais symptomatique – du dernier livre de John Gray.

Recensé :

John Gray, Black Mass : Apocalyptic Religion and the death of Utopia [1], Londres, Allen Lane, 2007.

À tout désastre politique majeur, sa philosophie de l’histoire. La terreur nous avait donné l’esquisse de Condorcet sur les progrès de l’esprit humain, fournissant en outre à Hegel l’occasion d’illustrer les ruses de la raison. Le totalitarisme du XXe siècle s’était montré particulièrement prolifique, inspirant les conjectures de Jacob Talmon, Hannah Arendt et Eric Voegelin. Par la bande, plus récemment, l’Union soviétique et les démocraties populaires de l’après-guerre tissaient la trame de la « Fin de l’histoire » pour Francis Fukuyama. Dans Black mass, le philosophe britannique, John Gray renouvelle la tradition en apportant une perspective philosophique au désastre politique le plus marquant de notre époque : la Guerre d’Irak. Selon Gray, l’idéologie néoconservatrice qui a nourri la décision de renverser Saddam Hussein en 2003 n’est autre chose que le dernier avatar d’un utopisme issu des Lumières – notion qui, par sa foi chiliaste dans la marche de l’histoire reste emprunte de christianisme, toute séculière qu’elle se veuille. Raymond Aron a pu autrefois parler de « religion séculière » pour décrire – et délégitimer – les idéologies modernes qui, comme le communisme et le nazisme, adoptent la politique du salut en ce monde. Gray fait valoir que le terme s’applique également au néoconservatisme. Alors qu’il avance cette provocante proposition, qui place les chantres du Nouveau Siècle américain dans la lignée historique de Hitler et Staline, Gray entend régler en même temps quelques comptes avec le conservatisme anglo-saxon. Autrefois supporter de Margaret Thatcher, il est atterré par l’état actuel des mouvements de droite qu’il juge en train de payer le prix de leurs récents engagements utopistes. Ce type de philosophie a toujours su séduire la gauche alors qu’on croyait les conservateurs attachés aux traditions, allergiques aux séductions des paradis terrestres conquis à la force du poignet. D’où la question de Gray : pourquoi la droite américaine a-t-elle troqué le conservatisme pour le néoconservatisme, succombant au projet catastrophique de l’utopie démocratique ?

Gray commence par faire la généalogie des totalitarismes du XXe siècle. Le communisme soviétique n’est pas l’héritier de l’autocratie tsariste, pas plus que le nazisme ne fut une disposition particulièrement aiguë du romantisme allemand. Tous deux, note Gray, sont les purs produits du credo des Lumières selon lequel les humains peuvent, en s’appuyant sur leurs propres facultés, créer la parfaite cité des hommes. Mais si les Lumières portent la responsabilité de Hitler et Staline, c’est que les Lumières elles-mêmes, selon Gray, ne sont jamais qu’un christianisme abâtardi : la croyance que l’histoire suit son cours, qu’on peut lui imposer un sens, est le legs le plus vivace du christianisme à la pensée occidentale. Plus précisément, le christianisme enseigne que l’histoire est le récit du salut de l’humanité, au terme duquel le mal, la discorde et la souffrance seront finalement vaincus dans un combat apocalyptique décisif. Pourtant cette théorie, si tant est qu’elle en soit une, a fait son temps. L’assertion selon laquelle la modernité européenne repose sur des versions sécularisées de la pensée chrétienne a été défendue sous diverses formes par Karl Löwith, Carl Schmitt et d’autres. L’affirmation selon laquelle le nazisme et le communisme sont des religions laïques a fait les beaux jours du libéralisme de la Guerre froide (voyez Aron et Talmon), comme d’une pensée politique plus récente marquée au coin de la tradition anti-totalitaire (cf. François Furet et Marcel Gauchet). Pourquoi revenir aujourd’hui sur ces analyses ?

La raison en est, semble penser Gray, que l’histoire récente nous appelle à ré-évaluer la philosophie politique où les penseurs précédents avaient vu l’antidote assuré à la religiosité laïque : le libéralisme. Pour un Aron ou un Talmon, l’attrait de la démocratie libérale était précisément qu’elle renonçait aux prétentions des idéologies totalitaires à parvenir au salut en ce monde au moyen de la politique. On avait vu dans la victoire de la démocratie, d’abord en 1945 puis en 1989, la mise au rebut du spectre du christianisme épousant le millénarisme politique. Ce qui a échappé aux libéraux, défend Gray, c’est qu’un tel triomphalisme remet à l’ordre du jour, sous des formes certes nouvelles, les mêmes aspirations utopistes qu’ils avaient cru bannir. Alors que les intellectuels de la Guerre froide croyaient que le libéralisme pourrait vacciner la politique moderne contre ses tendances messianiques, Gray affirme que le libéralisme même est atteint par le virus messianique. « De nos jours, écrit-il, l’Occident se définit en termes de démocratie libérale et de droits de l’homme, ce qui implique que les mouvements totalitaires du siècle dernier n’appartenaient en rien à l’Occident, alors qu’en vérité, ces mouvements renouvelaient certaines des plus anciennes traditions occidentales. Car rien ne définit mieux l’Occident que la poursuite du salut dans l’Histoire (…). Ce qui est spécifique à l’occident moderne, c’est le rôle déterminant de la conviction selon laquelle la violence peut sauver le monde » (p. 73).

La valeur historique du néoconservatisme est d’avoir mis en évidence le millénarisme qui s’inscrit en filigrane du libéralisme. Gray relève la montée du néoconservatisme à partir de deux coordonnées historiques. La première est le règne de Margaret Thatcher en Grande Bretagne dans les années 1980. Quand elle est devenue Premier ministre, en 1979, Thatcher avait la ferme intention de mettre un terme au « statu quo d’après guerre » dont elle estimait qu’il avait réduit la grande-Bretagne à la stagnation, la laissant à la merci d’un Etat envahissant et d’un socialisme rampant. Mais, Gray y insiste, ses intentions, au départ, étaient loin de la révolution néo-libérale qu’elles représentent à présent dans la mythologie du parti conservateur. Les gouvernements travaillistes avaient déjà essayé de réformer l’économie britannique, mais sans succès. Le programme électoral des « Tories » en 1979 était un document remarquablement modéré, où le mot « privatisation » figurait à peine et où il n’était pas question d’injecter les mécanismes de marché dans les services publics (p. 79). Qui plus est, son programme était nettement centré sur les questions nationales – Gray va jusqu’à la comparer à De Gaulle – plutôt que préoccupé de réforme structurelle à vocation mondiale.

Il n’en reste pas moins que la théorie du libéralisme économique qui sous-tendait les politiques thatcheriennes portait en elle le germe utopiste qui ferait sa perte. F. A. Hayeck, Milton Friedman et les autres prophètes du néolibéralisme « étaient les champions d’une idéologie des lumières de la fin du XXe siècle dont les principes de base – bien qu’avancés comme résultant d’une démarche scientifique – s’enracinent dans une foi religieuse » (p.85). Faisant écho à la thèse de Pierre Rosanvallon sur l’économie politique classique [2], Gray affirme que les thatcheriens adoptèrent une sorte de « capitalisme utopique », convaincus qu’on pouvait arriver à la société parfaite en donnant libre cours à la magie du marché libre. En outre, Gray accuse Hayek, le libéral autrichien qu’il avait couvert de louange dans un livre écrit aux heures fastes du thatcherisme, du vice même que l’économiste avait détecté dans le socialisme : la conviction sans fondement de la légitimité scientifique de ses opinions. Ainsi le thatcherisme n’est-il qu’un marxisme réchauffé. « En dépit de ses prétentions à une rationalité scientifique, le néo-libéralisme a ses racines dans une interprétation téléologique de l’histoire en tant que processus au but prédéterminé, et en cela comme à d’autres égards, il présente une proche ressemblance avec le marxisme » (p. 76). Ailleurs, il qualifie le néolibéralisme thatcherien « d’idéologie héritière du communisme » (p. 76). Gray pense qu’abandonnant la modération et le pragmatisme qui l’avaient conduite au pouvoir, Thatcher s’est mise à croire de plus en plus que ses politiques avaient valeur universelle. Et en particulier, elle plaça une foi immodérée dans les États-Unis qu’elle en était venue à croire capables d’établir le millénaire néo-libéral. Ce faisant, elle détruisit le conservatisme britannique en tant que projet politique.

Pourtant le néolibéralisme thatcherien ne put établir ses belles prétentions à un sens universel que grâce à un second événement historique : l’effondrement du communisme en 1989. La Chute du Mur de Berlin persuada les libéraux qu’ils assistaient à un phénomène qui serait bientôt connu sous le nom de « convergence démocratique » : l’obsolescence progressive de tout régime à l’exception de la démocratie libérale à l’occidentale et du capitalisme de marché. En baptisant cette convergence la « fin de l’Histoire », Fukuyama a donné à cette idée sa formulation théorique la plus sophistiquée.

En inspirant une telle superbe, 1989 mettait en piste la crise internationale actuelle. Car les théories libérales de « convergence démocratique » et de « fin de l’histoire » s’appuyaient sur un malentendu fondamental. George W. Bush et Tony Blair « comprirent naïvement l’effondrement du communisme non pas comme le revers pour l’universalisme occidental qu’il était en fait – mais comme le signe du triomphe de "l’occident". Dépourvus dès lors de toute perspective historique, ils lurent les défis du XXIe siècle naissant dans l’optique des illusions triomphales de l’après-Guerre froide » (p. 104). Le néoconservatisme, voire l’ensemble de la pensée de droite qui firent d’une guerre déclarée à l’Irak la priorité nationale suprême, représentent ainsi ce que Gray appelle dans une formule percutante « l’américanisation de l’apocalypse » : « suivant une trajectoire qui aurait enchanté Hegel », observe-t-il, l’utopisme naît des Lumières a « émigré en Amérique où il s’est fait une place au sein de la droite néoconservatrice. » (p. 33)

Gray ne laisse planer aucun doute sur ce point : on n’a rien compris au néoconservatisme ou à la politique étrangère à laquelle il a donné lieu si on le conçoit autrement qu’utopiste. Comme le jacobinisme, le communisme et le nazisme, le néoconservatisme croit qu’une fois assuré le triomphe de ses missionnaires en arme sur les forces du mal après une bataille apocalyptique, une nouvelle ère commencera pour les affaires humaines. Comme Gray l’observe sobrement, ce qui rend la perspective de George W. Bush dérangeante n’est pas qu’elle soit, comme on le dit souvent, manichéenne, mais bien qu’elle nie l’existence du mal absolu dans la mesure où Bush croit que, par la guerre, on peut l’éliminer des affaires humaines une fois pour toutes. Cette thèse informe l’analyse impitoyable que fait Gray des aventures militaires de Bush. Comme il en va de toute entreprise utopiste, le projet américain en Irak se fondait sur un leurre, lequel en rendait les objectifs irréalisables. Le problème n’est pas tant les aberrations auxquelles se sont abandonnés les conseillers de Bush – comme de croire que le modèle de transition démocratique après 1989 pouvait s’appliquer au Moyen Orient, ou de méconnaître les fractures inhérentes à la société irakienne – que le fait que le réalisme ne soit jamais entré en ligne de compte pour commencer.

Le problème qu’ont les néoconservateurs avec la réalité ne date pas d’hier. Dans une digression captivante sur les écrits de leur maître à penser, il explique comment Leo Strauss, né allemand, avait condamné le nihilisme moral du libéralisme moderne sur la base du monde perdu de la loi naturelle tout en louant ces penseurs qui avaient su préserver cette tradition sous une forme cachée et dont ils révélaient les vérités aux initiés dans l’art du décryptage des textes ésotériques tout en les dissimulant au commun des mortels. C’est ainsi, affirme Gray, que Strauss a pu enseigner à ses disciples que les gardiens d’une vérité cachée peuvent en toute bonne conscience suborner le public sur leurs intentions réelles si cela permet de parvenir à des fins supérieures. Cette mentalité a déterminé la conduite de nombreuses personnalités de l’administration Bush durant la phase préparatoire à l’invasion de l’Irak. L’OSP [3], cellule spéciale du Pentagone, créée par Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz en 2002 pour contourner la CIA dans la collecte des renseignements sur l’Irak, opérait avec pour tout bagage une « méthodologie basée sur la foi » et sa propre « intelligence occulte » de la nature du régime de Saddam Hussein (p. 143). Irving Kristol, l’un des fondateurs du néoconservatisme, s’est décrit un jour comme un libéral (au sens américain du terme, un homme de gauche) qui s’était fait « agresser par la réalité ». S’il faut en croire Gray, les néoconservateurs se sont contentés d’échanger une illusion utopiste pour une autre. Dans les rues de Bagdad, l’illusion néoconservatrice a subi une agression des plus brutales.

En fin de compte, l’essai de gray ne relève pas tant de la pratique de la philosophie de l’histoire que de son procès. Il donne à penser qu’en 2003, les néoconservateurs acceptaient encore, pour la plupart, les assertions de Fukuyama sur la « fin de l’histoire » – ils croyaient simplement qu’il fallait faire encore un effort pour y arriver. Oui, mais où ? Gray espère que le carnage en Irak nous rappellera que les politiques utopistes sont vouées à l’échec. Cependant, quand la religion laïque de l’utopisme achoppe une fois de plus, tout ce qui reste pour combler le vide est la « bonne vieille religion » (p. 185). « le temps des utopies est mort à Fallujah, ville ravagée par la folie de fondamentalismes rivaux. l’ère laïque n’est pas à venir comme le croient les humanistes libéraux. Elle appartient à un passé qui reste à déchiffrer » (p. 185). En conclusion Gray avance qu’un des principes erronés du projet néoconservateur au Moyen orient était sa foi aveugle dans la sécularisation en tant que fil conducteur téléologique. Même la sécularisation est trop chrétienne pour Gray, avec son fondement dans une conception évolutive de l’histoire et la distinction occidentale entre le profane et le sacré. Pour abandonner l’utopisme, il faut renoncer à cette croyance quasi mystique selon laquelle la religion pourrait un jour être éradiquée de l’expérience humaine. Développant des arguments présentés dans des livres précédents, Gray propose que nous rejetions l’anthropocentrisme sous toutes ses formes et reconnaissions que les êtres humains sont des animaux sans valeur métaphysique particulière [4]. Il reste que, même vue sous cet angle, la façon de traiter la religion est de l’accepter comme « un besoin humain premier ». Le fait d’admettre que la religion – et la vaste gamme de l’expérience religieuse – ne peuvent pas être anéanties apparaît ainsi, fort curieusement, comme l’antidote le plus puissant au besoin apocalyptique d’ouvrir la voie à un « monolithe laïque » (p. 208). Gray le conservateur déçu, espère que cette analyse informera une nouvelle philosophie du réalisme, philosophie qui se dispense de cadres téléologiques pour comprendre l’histoire, rejette la vue que tout ce qui est bien, converge en une sorte de point de fuite moral, et qui apprenne à vivre avec « les travers innés des êtres humains » (p. 198).

L’idée maîtresse du livre de Gray est l’assertion selon laquelle l’analyse libérale du communisme et du nazisme comme religions séculaires, qui remonte à la Guerre froide peut servir à comprendre une guerre contre l’Irak inspirée par le néoconservatisme. Cet axiome s’appuie lui-même sur la conjecture que le néoconservatisme est en essence une forme de libéralisme. Outre le fait que les démarcations conceptuelles entre libéralisme, néolibéralisme et néoconservatisme dans le livre de Gray restent vagues, ces affirmations sont fort discutables. S’il faut en croire les critiques fournies par des réalistes de la politique étrangère de l’acabit de James baker et Brent Scowcroft, Gray a raison de souligner dans le néoconservatisme l’importance de ce fond utopiste souvent absent des politiques conservatrices. Mais en insistant sur les origines libérales de la politique irakienne de l’administration actuelle, il va trop loin. Pendant la période de l’après-Guerre froide une préoccupation majeure de la politique étrangère américaine a été l’émergence des États-Unis comme seule superpuissance mondiale. Si on peut considérer les politiques qu’elle a inspirées comme messianiques, il est tout aussi plausible de les voir comme l’exercice conventionnel d’une politique de force. Les néoconservateurs eux-mêmes ont souvent défini leur programme en ces termes. Comme l’a écrit Robert Kagan dans un essai très controversé, les États-Unis sont condamnés, dans le contexte de l’après-Guerre froide, à voir le monde en termes hobbesiens : les Américains ont tendance à utiliser la force pour éliminer les menaces, d’une part parce qu’ils le peuvent, et d’autre part parce qu’étant le pouvoir international dominant, ils sont plus susceptibles d’être menacés [5]. Mais dans l’image qu’en donne Kagan, c’est la force même des États-Unis qui les amène à accepter le caractère inévitable de la guerre alors que les Européens bien plus faibles embrassent l’utopie kantienne de la paix perpétuelle. A supposer que Kagan représente bien ses vues, le vrai problème du néoconservatisme pourrait être sa vision pessimiste d’un monde existant dans un état d’urgence perpétuel plutôt que dans le triomphe final de la paix et de la démocratie.

Cette caractérisation contestable du néoconservatisme, compromet parfois les efforts de Gray pour arriver à une alternative réaliste à la politique étrangère de Bush et Blair. Car alors même qu’il peint le néoconservatisme comme messianique, Gray reconnaît implicitement ses aspirations à une forme de realpolitik. Il parvient donc difficilement à définir le réalisme auquel il souscrit. D’une part, il avance que le réalisme n’exige pas le rejet absolu des valeurs en politique. Il évacue comme « réalisme loufoque » les vues de ceux qui comme le stratégiste nucléaire néoconservateur Albert Wohlstetter, croient que « les décisions concernant la guerre et la paix peuvent se ramener à l’application de la théorie des jeux » puisqu’on en arrive en fin de compte « à une symbiose de rationalisme et de magie – en d’autres termes à une superstition » (p. 94). En même temps, il croit que le réalisme implique d’admettre que la plupart des conflits de valeurs ne peuvent pas se résoudre rationnellement et que beaucoup s’excluent mutuellement (le désir de renverser un dictateur et le désir de protéger les populations de la guerre civile et de l’anarchie ne sont pas nécessairement compatibles). Mais un réalisme défini en termes si tatillons serait-il jamais capable de fixer une ligne de conduite ?

Pour finir, la conclusion de Gray selon laquelle l’Utopie est morte quand la religion est bien vivante ne convainc pas. Si la religion remplit un besoin humain premier pourquoi n’en va-t-il pas de même pour l’utopie, surtout s’il faut, comme l’affirme Gray, la considérer comme une version séculière de la religion ? Et devons-nous vraiment croire que c’est le néoconservatisme qui a coulé le messianisme en tant que projet politique, et que les acolytes de Paul Wolfowitz ont discrédité cette forme de pensée plus sûrement que les adeptes de Staline et Hitler ?

Même si la thèse de gray peut se discuter sur chacun de ces points, Black Mass reste un symptôme intéressant de l’état de la pensée politique dans le monde anglo-saxon alors que l’axe Bush-Blair entre lentement dans le passé. Au terme d’une guerre menée au moins en partie en son nom, le libéralisme se trouve accusé à bon escient du messianisme même dont ses champions pendant la Guerre froide espéraient qu’il nous garantirait. Maintenant que la droite a livré une guerre désastreuse et fondée, au moins en partie, sur l’utopie, la gauche peine à définir sa vision des relations internationales, prise qu’elle est entre un interventionnisme libéral entaché de sa proximité avec le néoconservatisme, et un réalisme qui sent son conservatisme traditionnel. À tout le moins, le livre de gray nous aidera à entreprendre une réflexion sur certaines implications du premier désastre politique majeur du XXIe siècle.

par Michael C. Behrent, le 24 décembre 2007

Pour citer cet article :

Michael C. Behrent, « Agressé par la réalité – encore et toujours : La Guerre d’Irak comme philosophie de l’histoire », La Vie des idées , 24 décembre 2007. ISSN : 2105-3030. URL : https://booksandideas.net/Agresse-par-la-realite-encore-et

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Notes

[1Pas encore traduit. Traduction du titre anglais : «  Masse noire : religion apocalyptique et mort de l’utopie  »

[2Pierre Rosanvallon, Le Capitalisme utopique : critique de l’idéologie économique (Paris, Seuil, 1979).

[3Office of Special Plans. Bureau des plans spéciaux

[4John Gray, Straw Dogs : Thoughts on Humans and Other Animals [Chiens de paille : pensées sur les humains et autres animaux] (London : Granta, 2002).

[5Robert Kagan, Of Paradise and Power : America and Europe in the New World Order [Du paradis et du pouvoir : l’Amérique et l’Europe dans le nouvel ordre mondial] (New York : Alfred A. Knopf, 2003).

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