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La fin des temps, toujours d’actualité

vendredi 9 novembre 2007



par Henry Laurens

Recensé :

Jean Flori, L’Islam et la fin des temps, L’interprétation prophétique des invasions musulmanes dans la chrétienté musulmane, Paris, Seuil, 2007, 446 pp.

Dans ce travail, Jean Flori poursuit son entreprise de compréhension de ce qu’a été historiquement la guerre sainte, et avant tout les croisades. Ici, il s’intéresse à la fin des temps dans la pensée chrétienne. Comme on le sait, cette attente est présente dès les origines du christianisme et peut signifier, pour l’ensemble de l’humanité, la fin d’une existence douloureuse et l’espérance d’une vie nouvelle et heureuse. Elle est pour l’ensemble des hommes ce que la mort signifie pour chaque individu.

Le message de la Bible juive et les textes canoniques chrétiens constituent un ensemble sur lequel se fonde la doctrine des fins dernières. Les textes prophétiques et apocalyptiques se prêtent à une interprétation historisante : le monde aura une fin, les armées du Malin menées par l’Antéchrist (celui qui précède le Christ) seront détruites par le Christ. Certains faits historiques comme la disparition d’un puissant Empire dans des guerres civiles précèderont les événements ultimes. L’ensemble de l’histoire de l’humanité depuis la création du monde durera 6000 ans. Les premiers calculs donnent donc la date de 500 pour la fin des temps. Cela semble correspondre à la chute de l’Empire romain d’Occident.

Mais saint Augustin donne une tout autre lecture des textes, non plus historiciste, mais spiritualiste. Il conteste toute chronologie et toute interprétation précise des signes. Le temps présent, celui de l’Église, est indéfini. Sa lecture deviendra la lecture dominante de l’Église, même si l’attente millénariste se poursuivra dans des courants secondaires.

Il a fallu donner une explication théologique à l’apparition de l’Islam et aux conquêtes arabes. Elle a d’abord été le fait de chrétiens orientaux qui y ont vu un châtiment divin. Les vaincus ont alors aspiré à un renversement de la situation. Les musulmans ont été diabolisés et leur domination rapprochée de celle de l’Antéchrist. On annonce donc pour un futur proche la fin des temps qui sera consacrée par la victoire finale des chrétiens.

Ces textes chrétiens orientaux ont été connus en Occident au moment où les musulmans faisaient la conquête de l’Espagne et envahissaient la Gaule. Un certain nombre d’auteurs occidentaux adoptent cette interprétation de l’histoire. L’attente de la fin des temps s’est renouvelée à l’approche de l’an 1000. Toute une série de prophéties circulent dans un contexte où la guerre, d’abord défensive, contre l’Islam est sacralisée. La croisade est ainsi l’aboutissement d’un processus qui transforme le pèlerinage armé en guerre sainte de reconquête de territoires perdus. En mourant les armes à la main, les combattants accèdent à la dignité de martyrs. La prédication de la première croisade a beaucoup utilisé la référence à la fin des temps.

Bien des croisés étaient persuadés que leur marche sur Jérusalem entraînerait l’apparition de l’Antéchrist et la lutte finale entre les forces du bien et du mal. Si Dieu donne bien la victoire aux chrétiens en leur permettant de reprendre Jérusalem, il s’avère que la fin des temps ne s’est pas produite. En conséquence, les chroniqueurs de la première croisade effacent cette dimension apocalyptique au profit d’une vision épique faisant de la croisade elle-même l’accomplissement historique des prophéties.

Dans la mesure où les croisades suivantes ont été provoquées par des succès musulmans, elles ont ressuscité ces attentes apocalyptiques, en particulier après la prise de Jérusalem par Saladin. Il n’en reste pas moins que, si les musulmans restent un châtiment de Dieu, la fin des temps est la plupart du temps renvoyée à une date inconnue comme chez Saint Augustin. L’auteur y voit le prix de la désillusion créée par la première croisade.

La fin du XIIe siècle voit un renouveau des prophéties millénaristes avec en particulier Joachim de Flore qui renouvelle l’exégèse historisante de la fin des temps. Les Sarrasins représentent la dernière puissance adverse avant la venue de l’Antéchrist. Mais de son œuvre émerge aussi l’idée que la prédication doit remplacer le combat. Elle influera considérablement les premiers franciscains. Après la chute du dernier établissement franc en Terre sainte (1291), les spéculations prophétiques continuent mais sont de plus en plus fermement condamnées par l’Église (c’est l’arrière-plan du Nom de la Rose d’Umberto Eco).

L’auteur termine son enquête avec la fin du Moyen-Orient où la contestation de la papauté fait de l’évêque de Rome l’allié de l’Antéchrist. Mais la défaite finale des Sarrasins est toujours tenue comme nécessaire avant la fin de l’histoire.

Il suffit de faire une brève enquête sur l’Internet pour voir combien ces thèmes sont toujours aussi puissants aujourd’hui. Ils viennent surtout du monde des protestants fondamentalistes anglo-saxons. En 2006, un télé-évangéliste comme Pat Robertson pouvait dire que la venue du Christ ne pourra se faire que si les Juifs ont Jérusalem et la Terre d’Israël. Si les musulmans réussissent à reprendre Jérusalem et la Terre, ils pourront mettre en échec la prophétie, tel est le plan de Satan… Seuls les ennemis de Dieu peuvent combattre le peuple de Dieu.

Ainsi malheureusement, le livre de Jean Flori, bien mené en dépit de l’aridité de certaines sources, reste un ouvrage profondément d’actualité.

Ce texte est également publié par L’Orient littéraire. Nous saluons la qualité du travail réalisé par cet hebdomadaire.


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